Vingt-huitième occurrence dans la collection « Une heure-lumière », La Fontaine des âges est aussi la deuxième publication de l’autrice dans cette collection après Le Nexus du Docteur Erdmann. Les deux textes ont en commun de mettre en scène des personnages du troisième, voire du quatrième âge. Une classification quelque peu dépassée dans un monde où il est possible de ralentir le vieillissement par modification génétique. Pas de fontaine de jouvence miraculeuse ici, mais deux traitement aux coûts élevés et aux effets secondaires différents et parfois radicaux. Pour ceux qui n’ont ni les moyens ni l’envie, il reste les maisons de retraite où l’on attend la fin avec plus ou moins de confort, selon l’état de son compte en banque. Max Feder accuse ses quatre-vingt-six ans, une belle fortune acquise très illégalement, et un manque total de désir de vivre. Pensionnaire de l’un de ces établissements, il attend donc la mort dans l’ennui et la misanthropie la plus désagréable possible pour ses proches. Jusqu’à ce que la visite de son fils accompagné de ses petits-fils provoque la disparition du seul objet auquel il accorde de la valeur : une bague dans laquelle reposent une mèche de cheveux et l’empreinte au rouge à lèvres d’un baiser sur un bout de papier, souvenirs d’une idylle à Chypre avec Daria. Max se retrouve avec une nouvelle raison de vivre : revoir Daria et obtenir une nouvelle mèche de cheveux, un autre baiser. Si la retrouver n’est guère difficile, l’approcher se révèle bien plus compliqué. Devenue Daria Cleary, épouse d’un financier milliardaire, elle est à l’origine de l’un des traitements antivieillissement à base de cellules souches produites par les multiples tumeurs dont elle est victime. Son corps a, à jamais, dix-huit ans. Max n’a pas d’autres choix que de réactiver ses anciens réseaux, notamment ses contacts parmi les gitans, pour espérer déjouer la sécurité qui l’entoure.
Tout au long de son périple pour retrouver Daria, Max se plonge dans ses souvenirs, et c’est par ce truchement que nous découvrons sa vie et une société future fortement bouleversée. Max, escroc sans scrupules qui ne recule devant rien, se muant au fil du temps en une crapule assumée aux mains de plus en plus sales. Le réchauffement climatique, qui pousse les plus aisés à vivre sous Dôme, les robots se substituant à la main d’œuvre humaine, amplifiant la crise économique et paupérisant encore un peu plus les plus fragiles. En parallèle, l’essor des biotechnologies repousse l’échéance de la mort et aggrave davantage encore les inégalités, interrogeant sur ce qu’on est prêt (ou pas) à faire pour fuir l’ombre de la faucheuse. Par le truchement d’une narration non linéaire, Nancy Kress combine avec brio les répercussions sociétales d’avancées (?) technologiques majeures avec l’histoire d’un personnage éminemment humain au cœur d’une situation peu ordinaire. La Fontaine des âges, récipiendaire du Prix Nebula en 2008, confirme – s’il en était encore besoin – combien Nancy Kress excelle dans la forme courte. Une lecture hautement recommandable.