TROP. Voilà le mot qui résume le livre de Colin Heine en un seul mot.
La Forêt des araignées tristes est un roman steampunk sous lequel se dissimule un vague postapo écolo. On y perçoit les tensions franco-germaniques de l’avant-guerre, mais ici le design Belle Époque n’est qu’un parti pris esthétique.
Côté contexte : la vape, conséquence de la pollution, s’est répandue sur la plus grande partie du monde ; l’humanité s’est réfugiée dans des cités verticales dont la bourgeoisie occupe bien naturellement les sommets.
Dans ce monde-là, Bastien, officiellement paléontologue et officieusement anti-héros patenté, mollasson et naïf, bête comme ses pieds, a tendance à se trouver là où il ne faudrait pas quand il ne faudrait pas : le voilà tour à tour victime d’un accident ou témoin d’un attentat… Agathe, sa gouvernante, dont le langage tient bien davantage de celui d’une poissonnière et qui ne cesse de railler et d’insulter Sébastien comme s’ils entretenaient une relation SM, lui fait comprendre que son accident n’en était peut-être pas un et le pousse à enquêter. Gros bêta et mâle beta en toute splendeur, la personnalité de Bastien autorise le comportement inadmissible de sa gouvernante si peu en adéquation avec sa place sociale. Insupportables mais cohérents, l’un comme l’autre ne me donnant qu’une seule envie : celle de sortir la boite à gifles ! Et voilà donc Bastien embarqué dans une affaire d’espionnage urbaine échevelée et complètement foutraque avec assassins, détectives, sociétés secrètes, bestiole sortie des « Vaineterres » sous la vape et tout le toutim. Il y a bien TROP de péripéties souvent inutiles, TROP de personnages TROP transparents, dont Angela, une activiste germanique qui pointe son joli museau au beau milieu du roman comme un cafard dans le café pour une action à l’emporte-pièce qui file dans TOUS les azimuts… On peine à comprendre où veut nous mener l’auteur qui, en fin de compte, ne nous mène nulle part. Le roman se finit en beauté, sur les chapeaux de roue, mais me laissant pour le moins perplexe.
Sous ce beau titre et cette jolie couverture, je m’attendais à trouver un décor évoquant davantage Annihilation de Jeff VanderMeer plutôt que « Bohème » de Mathieu Gaborit. L’histoire, avec son lot de lenteurs, souvent verbeuse, est essentiellement urbaine ; forêts et araignées n’en constituant que la portion congrue, et quant à leur tristesse…
Choisir, c’est renoncer : ici, bon nombre d’éléments restent en friche ; ils auraient pu servir mais l’auteur n’en a rien fait (sans les supprimer pour autant).
La Forêt des araignées tristes nourrissait très certainement quelque ambition littéraire. On passe soudain d’une narration à la 3e personne à la première pour accéder à l’intériorité des personnages, créant des ruptures pour le moins étranges.
Colin Heine tient à donner à son livre une dimension politique en soulevant des problématiques écologiques et de lutte des classes, sauf qu’il ne parvient jamais à rattacher son intrigue à cet arrière-plan qui s’invite à gros sabots. Cette absence de lien entre l’intrigue et les problématiques en accentue le lourd aspect caricatural avec comme corollaire que le message ne passe pas.
Il aurait, selon moi, bien mieux valu situer le roman dans l’univers de « Bohème », collaborer avec Mathieu Gaborit qui a déjà partagé sa création, et peaufiner l’intrigue policière, poser (par exemple) Angela en Mata Hari ou Rosa Luxembourg.
Bien des éditeurs français entendent se dispenser des frais de traduction en publiant des auteurs francophones qu’ils vendront de toutes façons tout aussi peu. Ce qui implique de faire un travail de direction littéraire, effectué en VO en amont de la traduction par les « editors » et les agents. C’est tout ce travail qui est ici pris en défaut. Le jeune auteur n’est pas à blâmer. Il fallait lui faire remettre son œuvre cent fois sur le métier. Une pépite brute de décoffrage qu’il aurait fallu usiner et usiner encore pour en faire un joyau.