Algernon BLACKWOOD
L'ARBRE VENGEUR
230pp - 20,00 €
Critique parue en janvier 2023 dans Bifrost n° 109
Cap sur le grand nord avec ce deuxième recueil d’Algernon Blackwood aux éditions de l’Arbre Vengeur, après L’Homme que les arbres aimaient en 2011 (cf. critique in Bifrost n° 64), un grand format cette fois-ci. La Forêt pourpre (une affaire d’arbres, donc, mais sont-ils vengeurs ?) propose en effet une unité de lieu évidente, quand bien même ce lieu s’étend-il sur des centaines de kilomètres carrés : la forêt canadienne, où poussent épicéas et tsugas, et qui laisse parfois la place, sur des hectares, à de majestueux et calmes lacs parsemés d’îles. La forêt est certes un lieu, mais aussi un être vivant, le premier des protagonistes de ce recueil très cohérent, tandis que le vent souffle dans les branches, les faisant bouger comme autant de membres inquiétants. Car c’est aussi le propre de ces bois : ils isolent, tant vous êtes loin de toute présence humaine – hormis les quelques membres de votre expédition, bien sûr – et, en cas de phénomènes troublants semblables à ceux qu’expérimentent les personnages des cinq nouvelles recueillies ici, ils vous poussent, aussi doucement que sûrement, à bout, vous laissant faire une partie du chemin vers l’épouvante avant que celle-ci ne se déclenche réellement. Blackwood excelle dans la montée progressive vers l’angoisse, installant une ambiance apaisée propre à la tranquillité des lieux, avant d’ajouter un petit détail qui détonne dans le décor, une fêlure qui va bientôt s’étendre, consciemment ou non, dans l’esprit des chasseurs et aventuriers qui parcourent les lieux. La forêt sape les acquis d’hommes civilisés et urbanisés, renvoyant certains à leur nature animale, et prédisposant les autres à accepter – voire favoriser – le surnaturel. Et lorsque le fantastique surgit, il se révèle classique : fantômes (« L’Île hantée », « La Clairière du loup ») ou croyances indiennes (« Le Wendigo », sans doute le texte le plus connu de l’auteur, « La Vallée des Bêtes sauvages »), voire noirceur humaine (« Le Lac du Corps-Mort »). Décor, personnage à part entière, mais révélateur aussi : telle est la forêt selon Blackwood.
L’Arbre Vengeur a demandé à Greg Vezon, l’auteur de la couverture, de prolonger celle-ci par quelques illustrations envoûtantes, au trait blanc sur fond noir, qui retranscrivent le sentiment d’oppression ; on notera enfin qu’il s’agit là du premier livre traduit par Romane Baleynaud, jeune traductrice qui s’en tire avec les honneurs. On espère maintenant que l’éditeur attendra un peu moins de onze ans pour nous proposer un nouveau recueil signé Blackwood…