Connexion

Les critiques de Bifrost

Critique parue en janvier 2018 dans Bifrost n° 89

Si Le Problème à trois corps, best-seller improbable chroniqué dans notre 85e livraison, figure sur votre pile de lecture, passez d’emblée à la critique suivante : la présente chronique révèle quelques éléments-clé du premier volume (et évitez de même de lire la quatrième de couverture du présent bouquin : elle spoile éhontément). De fait, ce deuxième volet de la trilogie de Liu Cixin débute peu de temps après le volume initial et nous présente une Terre en état de crise : tandis que les intellectrons trisolariens espionnent notre planète et bloquent le développement de certains pans cruciaux de la recherche scientifique, la flotte extraterrestre est en route et atteindra le Système solaire dans quatre siècles – autant dire demain. Un délai toutefois assez long pour que des solutions soient envisagées, du moins si l’humanité ne se laisse pas aller au défaitisme ou à l’évasionnisme. Sous l’impulsion des Nations Unies, le programme Colmateur est ainsi mis en place : quatre individus – un ancien secrétaire d’État américain à la défense, un ex-président vénézuélien, un chercheur britannique et un quidam chinois — bénéficient de moyens illimités pour trouver des stratégies secrètes permettant de vaincre les Trisolariens. Le Chinois, c’est Luo Ji, qui ne sait pas pour quelles raisons on l’a choisi. De plan, il n’en a guère non plus. De toute façon, impossible d’en parler : les intellectrons, ces « protons intelligents » envoyés par Trisolaris, surveillent tout ce qu’il se fait. Et si les Trisolariens, incapables de différencier la pensée de la parole, ignorent de ce fait le mensonge, ce n’est pas le cas de leurs sympathisants humains réunis dans l’Organisation Terre-Trisolaris : leur riposte consiste à associer à chaque Colmateur un Fissureur, chargé de le comprendre et de le briser. Mais Luo Ji sera son propre Fissureur. L’humanité a-t-elle encore une chance ? Surtout quand les Fissureurs triomphent un à un des Colmateurs et que la seule chose que fait Luo Ji est… rien.

Épais pavé, La Forêt sombre exacerbe les défauts du Problème à trois corps : le roman est long et bavard, parfois jusqu’à l’excès, en particulier dans sa première moitié. Les protagonistes demeurent encore trop lisses, et les rares personnages féminins sont traités avec un romantisme confinant souvent à la mièvrerie. Enfin, sur quelques points de détail, il faut parfois suspendre son incrédulité plus qu’à l’accoutumée (toute proportion gardée pour un roman de genre).

Il n’empêche : ces défauts mis à part, La Forêt sombre ne manque pas de souffle ni d’ambition, et cette suite au Problème à trois corps finit par emporter le morceau. Dans un contexte de fin du monde quasi imminente, les différents types de réponses (sociales, militaires, etc.) à l’invasion d’un ennemi surpuissant sont passées en revue en profondeur. Si les deux premières parties du roman traînent certes en longueur, la dernière, plus orientée vers l’espace, s’avère brillante, avec un lot de scènes et de réflexions saisissantes. Dans les premières pages, Liu Cixin énonce les deux axiomes de la cosmosociologie (survivance et croissance dans un univers aux ressources finies), et propose en fin de compte une réponse extrêmement décourageante au paradoxe de Fermi – c’est d’ailleurs de cette réponse que provient le titre du roman.Le Problème à trois corps s’achevait sur une note sombre ; La Forêt sombre se termine sur un statu quo fragile, qui donne envie de lire au plus vite le troisième et dernier volet de la trilogie.

Erwann PERCHOC

Ça vient de paraître

Les Armées de ceux que j'aime

Le dernier Bifrost

Bifrost n° 116
PayPlug