Nouveau roman et — surprise — nouvelle exploration de l'univers foisonnant de Vertigen, qui vaut à Léa Silhol son qualificatif de fantasyste shakespearienne, La Glace et la nuit se décline en diptyque, Nigredo n'en formant que le premier volet. Les fans comme les néophytes (re)découvriront un monde proche de Faërie, anges et dieux grecs en plus, livré par une Léa Silhol en grande forme. Style soutenu, narration fluide, poésie et punkitude (oui oui !) y côtoient féminisme, engagement politique et réflexion plutôt profonde sur les motivations d'un genre humain décidément compliqué (« humain » à prendre au sens large, évidemment). Preuve que la fantasy sait aussi être une littérature d'idée, dès que les auteurs s'éloignent des standards aussi éprouvés qu'éprouvants. Double paradoxe avec Nigredo, dans la mesure ou l'auteure reprend à son compte les clichés du genre, mais, à l'image du travail d'Elizabeth Hand ou de Robert Holdstock, les avale tout crus pour mieux les digérer et en tirer quelque chose de totalement neuf. Ce qui frappe le plus dans ce premier tome de La Glace et la nuit, c'est son côté éminemment silholien. Autant dire que les habitué(e)s apprécieront et que les autres ont intérêt à apprécier. Autant dire aussi que pour le lecteur qui n'accroche pas d'entrée de jeu, mieux vaut refermer le livre et passer à autre chose. Nigredo concerne avant tout un public de convaincus. Et si vous l'êtes, il y a très peu de risques que vous soyez déçu(e)s.
Sans déflorer l'intrigue, on peut tout de même révéler que Finstern et Angharad sont de retour, deux cent ans après La Sève et le givre (disponible en poche dans la collection Points « Fantasy »), que le petit peuple est toujours aussi réactionnaire et que ceux et celles qui aspirent à plus de liberté sont condamnés à foutre le feu. Surprenant ? Pas tant que ça. D'abord parce que les personnages de Léa Silhol sont presque tous en rupture, en révolte ou en quête, et que ces trois états s'accommodent assez mal d'une quelconque forme d'autorité. Ensuite parce que la politique est affaire de quotidien et que les royaumes figés sont forcément condamnés au dégel. De fait, suivre les aventures à la fois sérieuses et souvent très drôles (notamment celle de Kelis, vraiment lassé par les simagrées du petit peuple) d'êtres éthérés, fluides et beaux, laisse les lecteurs sur un petit nuage très aérien, sans que jamais le rythme ne retombe ou que l'intrigue s'essouffle. Nigredo apparaît donc pour ce qu'il est : un excellent livre, une histoire à la fois précieuse et belle, envoûtante et éternelle, sertie dans un écrin codé, tellement codé qu'il risque d'en surprendre (et donc d'en rebuter) plus d'un. En attendant, Léa Silhol nous prouve que la fantasy française existe comme entité autonome et que sa profonde originalité pourrait bien donner quelques idées aux autres.