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Les critiques de Bifrost

Critique parue en juin 2001 dans Bifrost n° 22

La nouvelle maison d'édition Au diable vauvert, dirigée par Marion Mazauric, frap­pe fort dès le début ! Ici un diable couillu lisant un livre, là un autre présentant son postérieur sur des icônes religieuses… Le ton est donné : iconoclaste, provocateur et délicieusement dérangeant.

La « trilogie divine » de James Morrow conforte ces prises de position anticonformistes. Une « trilogie » qui n'a rien à voir avec celle de Philip K. Dick. Dans le premier volume, En Remor­quant Jéhovah, le ca­davre de Dieu, long de trois kilomètres, est acheminé jusqu'au Vatican qui le cédera à une société exploi­tant son image. Dieu n'étant qu'en coma dépassé, un juge atteint d'un cancer organise à La Haye le plus grand procès de tous les temps, celui de crimes contre l'humanité par le Créateur : Le Jugement de Jéhovah reste le meilleur roman de la trilogie, pour ses spéculations métaphysiques et eschatologiques.

La Grande Faucheuse, à ce jour inédit en France (les deux premiers volumes avaient, en leur temps, été publiés chez J'ai Lu), raconte l'incroyable décomposition du corps de Dieu, dont le crâne se satellise, seconde lune macabre orbitant autour de la Terre. Apparaît alors une peste des plus curieuses : les doubles spectraux tourmen­tent les vivants et les mènent à la mort en prenant possession de leur corps. Pour combattre ce fléau, le riche Lucido imagine de créer une nouvelle religion, polythéiste, qui redonnerait le goût de la vie à l'humani­té déboussolée. Mais le sculpteur religieux Gérard Korty qui, après avoir conçu le mausolée de Dieu et vu son projet trahi par les commanditaires du Vatican, imagine les dieux de l'ère nouvelle, se rend compte de l'imposture de Lucido, malgré les résultats qu'il parvient à obtenir. Figure héroïque du roman, Nora, dont le fils fut le premier à être atteint de la peste schizophrénique, par son courage et sa volonté, apprend aux hom­mes à vivre dans un monde dépourvu de Dieu.

L'auteur place évidemment sa foi en l'hu­manité, mais sans mièvrerie ni déclaration passionnée, avec une honnêteté qui lui permet de surmonter les ambiguïtés inhé­rentes à la nature humaine.

Le délire baroque qui souffle sur ces pages montre à quel point James Morrow est un merveilleux équilibriste devant l'Éternel — et même sans lui. Entre discours métaphysique et loufoquerie surréaliste, il réalise un subtil mélange où tout autre que lui aurait versé dans un pontifiant ennui ou une fantaisie débridée. Sa grande culture, son style incisif à l'humour noir ravageur l'aident à tenir le cap.

Gardez votre couvre-chef, mister Morrow, c'est le lecteur qui vous dit « chapeau » !

Claude ECKEN

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