Quand bien même il n’a pas l’aura des plus grands livres ou cycles de van Vogt, La Guerre contre le Rull est néanmoins considérée comme une de ses œuvres importantes. Comme l’écrasante majorité des publications de l’auteur dans les années cinquante, il s’agit d’un fix-up assemblant six nouvelles initialement indépendantes publiées entre 1940 et 1950, avec l’ajout de matériel pour faire le lien entre elles et donner à l’ensemble un minimum de cohérence. Même si les coutures se voient parfois, le résultat est cependant honorable – plus qu’ailleurs, en tout cas. Le principal défaut de cet assemblage est ici sa répétitivité : plusieurs des nouvelles mettent en scène soit le héros, soit un de ses antagonistes, soit les deux, échoué(s) sur une planète hostile et sans autre choix, pour survivre, que de coopérer.
Dans un lointain futur, les humains sont à la tête d’une Fédération composée de 5 000 planètes comprenant de nombreuses races extraterrestres. Lorsque la Fédération en rencontre une nouvelle réticente à se joindre à l’alliance, elle ne la conquiert pas, mais établit un blocus et entame un dialogue jusqu’à convaincre la race concernée de s’associer. Ce n’est qu’en dernier recours que la poignée d’éléments extrémistes responsables d’une situation jugée sans issue sera réduite à néant. Maître de la Voie lactée, l’Humain est toutefois confronté à un double péril. En premier lieu, un envahisseur vermiforme venu d’une autre galaxie, le Rull, à la technologie égale à la sienne, aux capacités naturelles extraordinaires (possibilité de prendre n’importe quelle apparence et de générer des rayons d’énergie via la manipulation au niveau cellulaire de l’électromagnétisme), et qui ne tolère aucune forme de vie non-Rull (car nul ne saurait être plus parfait qu’eux), une menace vieille d’un siècle. Par ailleurs, Trevor Jamieson, scientifique et explorateur, chef de la commission militaire interstellaire, vient de découvrir que les Ezwals, monstres bleus à six bras de la planète Carson, ne sont pas les bêtes sauvages tueuses que l’on pensait jusque-là. Car non seulement ils s’avèrent dotés d’intelligence… mais ils sont qui plus est télépathes – les seuls de l’espace connu. Et très mal disposés envers l’humanité, voire à deux doigts de s’allier avec le Rull pour la chasser de leur monde, qui se trouve être d’une importance stratégique pour la défense de la Fédération. Or, ce qui paraît être un péril pourrait se transformer en opportunité décisive de gagner la guerre !
La grande qualité de ce fix-up est de proposer une galerie d’extraterrestres et de planètes / monstres exotiques dignes d’intérêt, tant sur le plan de leur physiologie que (surtout) de leur psychologie (dont le rejet de la civilisation et de la technologie par les Ezwals, qui sont pour eux des facteurs aliénants). On remarquera aussi l’importance de l’utilisation, par les deux camps, de l’hypnose, un sujet auquel l’auteur a d’ailleurs consacré un essai entier. Il tient cependant pour acquis que l’Homme ne peut vaincre le Rull qu’en réorientant toute sa société dans ce but, et en usant des mêmes méthodes impitoyables que lui, à commencer par la guerre bactériologique, l’enrôlement forcé de certains membres des familles proches des Chantiers Spatiaux dans le vaisseau géant invincible en cours de construction, ou, pire, l’endoctrinement, l’initiation au maniement des armes et au contre-espionnage (on remarquera d’ailleurs l’ambiance très maccarthyste de chasse paranoïaque aux Rulls infiltrés, probablement une allégorie de l’espionnage et de l’impérialisme soviétiques) des enfants dès… cinq ans (une sorte de Stratégie Ender en germe). De plus, une espèce n’est considérée comme « civilisée » que si elle peut apporter son aide dans la guerre contre le Rull (ce qui n’empêche pas que, une fois l’intelligence des Ezwals découverte, la tentation de les exterminer est grande). Ajoutons à cela le transport de « spécimens » Ezwals en cage vers la Terre comme des indigènes conduits vers l’Exposition Universelle. Enfin, quand ces êtres refusent d’adopter des noms conformes aux conventions humaines, ceux-ci les marquent comme du bétail à l’aide de leur technologie. Et que dire de Jamieson qui, pour calmer les angoisses de sa femme à propos de leur fils en péril, lui conseille… d’aller faire les boutiques ! Bref, et même s’il en est partiellement conscient, puisqu’il le dit lui-même : dans leur comportement, Rulls et humains sont parfois difficiles à différencier, van Vogt justifie, même inconsciemment, certaines méthodes ou attitudes peu ragoutantes avec un naturel sidérant. Reste un ouvrage fort réussi sur certains plans, notamment sa peinture de fascinants aliens (comme dans La Faune de l’espace), mais qui ne sera sans doute pas, en 2020, à même de séduire tous les publics.