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Les critiques de Bifrost

Critique parue en janvier 2004 dans Bifrost n° 33

L'année dernière, la production de Johan Heliot s'est littéralement déployée, en s'affranchissant, pour un temps, des mannes de l'uchronie impériale qui avaient fait sa réputation avec La Lune seule le sait, réédité chez Gallimard (et dont la suite est annoncée chez Mnémos), pour investir d'autres champs de l'Imaginaire comme le thriller fantastique avec Obsidio et le merveilleux historique avec Faërie Hackers, deux réussites qui, toutefois, n'ont pas eu que des laudateurs. Voici qu'il s'attaque à un autre gros morceau, ce space opera sur lequel beaucoup d'auteurs francophones se sont cassés la plume. Et il le fait avec l'ambition et l'énergie qui le caractérisent.

Teer-Elben est un virtuose de la Harpe des Etoiles qui relie entre eux les mondes humains, en puisant sa structure dans la trame même de l'Univers. Mais, à l'instar de tous ceux qui voyagent le long des cordes, Teer-Elben le Nomade est un Néo, un être synthétique créé par les Primos, les hommes originels qui se sont exilés dans les Confins après avoir perdu la guerre contre leurs créations. Aussi, lorsqu'un mystérieux commanditaire, surnommé Le Masque, le charge de retrouver l'Abelle, l'arche stellaire des Primos, Teer-Elben puise dans les sagesses de son lignage la force d'accepter une quête d'autant plus prégnante que le fragile équilibre des castes sur lequel repose la société des Néos est peut-être en train de s'effondrer.

La Harpe des étoiles a les défauts de ses qualités et demeure un ouvrage à mi-chemin entre la réussite et l'échec, selon l'angle sous lequel on l'envisage. Sur le plan de la richesse thématique, le texte de Johan Héliot se pose là. S'il ne révolutionne pas le space opera, à l'instar du cycle de la Culture d'un Iain M. Banks, il en métabolise les composantes et fonctions traditionnelles et en invente de nouvelles. L'exploitation de la notion cosmologique de cordes, les fondements génétiques de la société des Néos, l'extraordinaire diversité culturelle des castes, etc. Heliot lorgne du côté d'Étoiles mourantes de Dunyach et d'Ayerdhal, sans jamais en rougir, tout au contraire. Mais il y a fort à parier qu'il aura les mêmes détracteurs que ses prédécesseurs, car une fois passée la flamboyance de l'idée, le lecteur doit encore digérer le récit. Et c'est bien là que casse l'une des cordes de La Harpe. Il y a tant de castes, tant de personnages hauts en couleurs aux motivations croisées, que le lecteur subit une sorte de pression qui écrase les enjeux, les rendant flous. Heliot est l'un des meilleurs auteurs de la nouvelle génération. Il a des moyens et des ambitions. Le problème est que la croissance des premiers est arithmétique, celle des secondes exponentielles. Peut-on vraiment lui en tenir rigueur, alors qu'il fait scrupuleusement ses gammes quand d'autres, vaniteux, s'imaginent écrire des symphonies ? Gageons que notre homme-orchestre n'a pas encore dirigé ses meilleures œuvres…

Ugo BELLAGAMBA

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