Aurélie WELLENSTEIN
FLEUVE ÉDITIONS
20,90 €
Critique parue en avril 2025 dans Bifrost n° 118
Malchanceux, faible, Abraham n’a pas grand-chose pour lui. Métisse, né dans une famille de domestique d’une grande lignée nobiliaire de l’ancien continent, il se fait régulièrement tabasser par les autres serviteurs du fait de sa couleur de peau. Jarod, son frère aîné, lassé de cette vie qu’il juge médiocre, finit par fuir. L’ouest sauvage d’un monde en voie de colonisation lui semble augurer d’une vie meilleure. Abraham, qui manque de courage pour le suivre, préfère rester dans sa servitude, à veiller sur leur mère malade. Jusqu’au décès de cette dernière et celui, probable, de son frère, qui poussent enfin notre héros à démissionner. Avec ses gages, il se paye un aller simple vers le nouveau monde doublé d’un équipement pour retrouver son frère, dont il refuse de croire à la mort. Pourtant, là encore, le courage de partir à l’aventure lui fait défaut. C’est la rencontre avec une équipe de chasseurs de primes, dont l’un des membres est la dernière personne à avoir vu son frère vivant, qui scelle son destin et lui met le pied à l’étrier. Les choses sérieuses peuvent (enfin) commencer…
Pour qui aurait ici l’impression de lire le synopsis d’un western spaghetti, rien de plus normal. Même s’il serait en fait plus juste de parler de weirdstern — car le monde qui nous est ici proposé n’est pas le nôtre. La Harpiste des terres rouges a pour décor le continent de Nacarat, dont les descriptions ne sont pas sans rappeler l’Arizona ou le Nevada. Un soleil de plomb, de la poussière et des cactus jusqu’à la nausée. Cette terre hostile est aussi la promesse d’aventures et de richesses — l’horizon d’une nouvelle vie, possiblement meilleure. Pour avoir une chance de survivre face aux périls de cette contrée, plus fantasmés que documentés, les candidats à l’aventure se font greffer des morceaux d’animaux sauvages et y gagnent un pouvoir surnaturel. Lequel ? Impossible de le prévoir, et la plupart des greffes finissent mal pour le receveur, que ce soit par rejet du greffon ou par son « envers » (pendant de la capacité surnaturelle) qui ne s’exprime que la nuit et, bien souvent, contre son propriétaire. Or, en ce qui concerne Abraham, un pouvoir ne serait pas de trop pour affronter cette femme ayant une harpe en guise de tête, manière de sirène réinventée, qui envoûte tous ceux qui entendent sa mélodie. Mais se faire greffer ne reviendrait-il pas à perdre son humanité ?
Entre les cavalcades juchées sur des chevaux écumant et les nuits grouillant de dangers, Aurélie Wellenstein nous offre avec La Harpiste des terres rouges un page-turner des plus efficaces, porté par un rythme à ce point intense qu’il nous donne l’impression que ralentir reviendrait à mourir. Un excellent roman sous d’étranges latitudes, en somme, dans le registre du divertissement on ne peut plus assumé, et qui nous fait regarder notre petit chez-soi comme pourrait le faire un hobbit de son trou : aussi fantastiques que soient les promesses de Nacarat, elles sont par trop effrayantes…