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Les critiques de Bifrost

La Haute Transcendance

John C. WRIGHT
LIVRE DE POCHE
7,10 €

Critique parue en janvier 2006 dans Bifrost n° 41

[Chronique commune à Le Phénix exultant et La Haute Transcendance]

La trilogie dont les livres, objet de cette chronique, constituent les tomes second et dernier, est une œuvre complète qui doit se lire dans l'ordre. Ceux qui n'ont pas jeté l'éponge à la lecture du premier tome, L'Œcumène d'or, sont armés pour affronter les suites. Quant aux autres, rebutés par l'abord rébarbatif induit par l'ambition de John C. Wright, on ne peut que les inviter à faire une nouvelle tentative pour pénétrer ce futur lointain tant le jeu en vaut la chandelle, car cette « Geste de l'avenir lointain » est un défi lancé à tout amateur véritable de science-fiction. Le challenge n'est pas tant littéraire que conceptuel, car Wright pose là un nouveau jalon dans l'élaboration imaginaire de l'avenir et, qui plus est, en propose une vision matérialiste. La société qu'il dépeint est la projection la plus lointaine possible à l'aune de notre XXIe siècle naissant. Il va sans dire que ceux qui ne trouvent pas leur bonheur chez John Varley ou Greg Egan peuvent passer leur chemin.

Ce que j'ai pu écrire concernant le premier tome reste pertinent pour ces suites ; mais elles ne demandent pas d'effort supplémentaire. Comme dans la plupart des trilogies qui nous sont données à lire, le deuxième tome, Le Phénix exultant, est un livre de transition offrant un intérêt moindre que les deux autres. On y retrouve Phaéton subissant sa peine d'ostracisme qui n'est pas sans rappeler « Voir l'Homme invisible », la nouvelle de Robert Silverberg. Envers et contre tous, il parviendra, grâce à Daphné Tercius, la copie de son ex-femme, et au maréchal Atkins, le dernier soldat du monde, à récupérer le Phénix Exultant, son merveilleux astronef, tout en ayant su conserver sa précieuse armure.

Le troisième tome est celui du dénouement où tombent les masques — d'où le double sens du sous-titre, La fin de la mascarade — comme des pelures d'oignon. Et désormais, c'est la guerre. Une guerre où des batailles sans merci ne durent que quelques microsecondes et s'étendent des dizaines de millions de fois en temps de lecture. La trilogie reste quelque peu verbeuse, incontournable défaut inhérent à un projet où Wright est contraint de nous abreuver de concepts futuristes et de néologismes indispensables pour mettre à la portée de nos pauvres intellects humains dépourvus d'extensions de l'aube de la 3e structure mentale ce que peut être la 7e. Et notons que pour une neuroforme basique — c'est-à-dire un humain pourvu d'extensions intellectuelles — , la pensée des sophotechs est aussi inaccessible que si l'on vous faisait affronter un de nos supercalculateurs contemporains en calcul mental. Pour avoir une autre idée de la technologie de L'Œcumène d'or, il faut comparer la quantité d'énergie solaire que nous utilisons face à une civilisation qui serait en passe de l'utiliser en totalité et qui aurait commencé à construire à cette fin une sphère de Dyson. Peut-être un ordre de 1020. La vitesse de la lumière reste quant à elle une barrière infranchissable, qui permet d'étalonner cette histoire du futur. Ainsi, l'Œcumène du Silence, unique colonie stellaire établie autour du trou noir Cygnus X1, est-il distant de 10 000 années-lumière. Ce qui positionne l'ère de la 7e structure mentale à plusieurs dizaines de millénaires dans l'avenir, voire 100 000 ans…

À l'instar de L'Orbe et la roue de Michel Jeury, la trilogie de L'Œcumène d'or de John C. Wright est l'une des très rares anticipations à très long terme qui en joue le jeu. Jamais encore on n'avait osé pareille spéculation sur le futur lointain de l'humanité sans implication métaphysique. Franz Werfel ou Olaf Stapledon n'ont pas vraiment abordé le problème sous le même angle. En règle générale, la S-F est comme prise de vertige face à l'avenir lointain. Quasiment toujours, le space opera, dont c'est le domaine de prédilection, renvoie à des modèles sociaux — et militaires — issus du passé. Wright n'a pas réellement élaboré un futur profond. Il a poussé dans l'avenir, de manière aussi cohérente que possible, la matière technique et sociale des spéculations sur le futur proche, dont des auteurs tels que Greg Egan font leurs choux gras. Son matériel spéculatif est essentiellement constitué d'intelligence artificielle, de science cognitive, de réalité virtuelle et de nanotechnologie, avec un zeste de quanta et de trous noirs pour compléter le paysage. Il est resté dans une approche hard science, n'a pas transigé avec les impossibilités physiques comme bien souvent se le permet le space opera, transformant l'espace en océan et la Galaxie en Far West. Par contre, il a shunté les limites du vivant et l'immortalité est de rigueur. Ainsi considéré comme de l'information, un esprit peut être immortel et affronter un voyage de 10 000 années-lumière ; d'autant qu'aux vitesses relativistes, il semblera bien plus court à ses passagers.

Il ne s'agit ici nullement de minimiser le remarquable travail de John C. Wright mais, au contraire, de montrer par quelle méthode, en apparence, la seule pertinente, il a relevé et gagné le défi littéraire que représente l'imagination du futur lointain, inscrivant la trilogie de L'Œcumène d'Or au rang d'indéniable chef-d'œuvre.

Ceux qui craindraient malgré tout l'ambition et l'envergure de la spéculation proposée ici ont aussi désormais la possibilité de s'essayer à la fantasy de John C. Wright (chez Calmann-Lévy).

Avec Jeffrey Ford, John C. Wright est l'auteur le plus intéressant apparu en France depuis Greg Egan. On déplorera l'absence d'une récompense majeure pour une œuvre qui a réussi à renouveler le genre non avec du vieux, mais avec de l'actuel.

Une trilogie incontournable.

Jean-Pierre LION

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