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              ARGYLL
               208pp                -                19,90 €             
Critique parue en juillet 2025 dans Bifrost n° 119
Autrice multi primée outre-Atlantique, surtout pour des œuvres en rapport avec le monde LGBT, mais aussi dans le domaine de l’Imaginaire, Nicola Griffith ne bénéficie pas de la même aura dans l’Hexagone. Deux thrillers édités chez Calmann-Levy, il y a plus de vingt ans, et deux nouvelles parues dans les anthologies La Petite mort et Century XXI, cela ne pèse pas lourd dans la balance. La Lance de Peretur — Spear, en anglais — apparaît donc comme l’opportunité de (re)découvrir cette autrice, avec d’autant plus d’intérêt ici que le sujet est fort, la matière belle et le traitement tout en sensibilité. Plus connu dans nos contrées sous le nom de Perceval, Peretur se féminise ainsi sous la plume de Nicola Griffith, adoptant l’apparence d’une jeune sauvageonne élevée par une mère enchanteresse, dans le secret d’une grotte perdue de la vallée de la Tywi. Mais Peretur s’éveille au monde extérieur. Désireuse d’en savoir davantage sur ses parents, elle est irrésistiblement attirée par ce qui se passe au-delà du bosquet magique oùellevitrecluse.Lespaysansdursàla peine qui s’échinent sur leur bout de terre dans la crainte des bandits cruels qui les menacent, les chevaliers qui parfois traversent la vallée au galop et luir appellent les silhouettes ciselées sur la coupe cachée au tréfonds de la grotte, et toutes ces femmes résignées à vivre le destin tout tracé d’épouse : tout cela l’interpelle. Pourvue d’une armure récupérée sur un cadavre, d’une épée épointée, d’une lance et de son talent pour apaiser les animaux, elle décide de partir à la conquête de ce monde animée par le désir d’y trouver sa juste place.On l’acompris,si Nicola Griffith s’inscrit dans la continuation des récits de la Matière de Bretagne, un continuum de textes qui, depuis les écrivains du Haut Moyen Âge, s’est étoffé de moult épisodes et personnages au fil des réécritures et de leur adaptation par la pop culture, elle impulse cependant à son récit une tournure queer et cosmopolite bienvenue. La Lance de Peretur se veut ainsi une reconstitution vraisemblable du Haut Moyen Âge brittonique, empruntant au légendaire gallois ses toponymes et noms de personnages. Le roman est cependant aussi un récit de chevalerie où les prouesses viriles comptent moins que la quête d’une certaine harmonie. La recherche d’une perfection symbolique qui se passe d’Artus, des exploits guerriers de ses compagnons ou des tours de merlin pinpin deMyrddin,préférants’enteniràlareine Gwenhwyfar, au boiteux Llanza et à Nimue.
D’une écriture lumineuse, sans outrance et non dépourvue d’une certaine drôlerie, Nicola Griffith déroule ainsi un récit empathique qui rappelle les meilleures pages de Lavinia d’Ursula Le Guin, rafraîchissant par la même occasion le récit de chevalerie et la Matière de Bretagne. Voilà donc une lecture plus que recommandable, de surcroît dotée d’un paratexte éclairant signé Fabienne Pomel.
Laurent LELEU