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Les critiques de Bifrost

La Longue Terre

La Longue Terre

Stephen BAXTER, Terry PRATCHETT
L'ATALANTE
384pp - 22,50 €

Bifrost n° 72

Critique parue en octobre 2013 dans Bifrost n° 72

Voyager dans des mondes parallèles, c’est possible et d’une facilité déconcertante. On se demanderait presque pourquoi personne n’y a pensé avant ! Seules suffisent quelques composants électroniques et, surtout, une pomme de terre. Et voilà un « Passeur », porte ouverte pour des milliers de Terres. Des mondes vierges de toute présence humaine. Quelle aubaine pour les chercheurs d’or et autres explorateurs ! Quelle catastrophe pour la société telle qu’elle existait ! Les opportunités sont formidables, les bouleversements irrémédiables. Car chaque personne peu satisfaite de son existence (et il y en a plus d’une !) fait ses bagages et tente un nouveau départ, laissant derrière elle les impôts, dettes et autres tracas de la vie quotidienne.

Mais tout le monde ne pense pas qu’à s’enrichir, ou à créer une nouvelle société plus conforme à ses désirs en repartant à zéro. Certains essaient de comprendre ce qu’est cette longue Terre, cette infinité de planètes qui prolongent le berceau de l’Humanité. Sont-elles infinies ou existe-t-il une limite, une origine ? Pourquoi le fer, ce matériau essentiel, ne passe-t-il pas d’un monde à l’autre ? Et, surtout, quelle menace se profile, terrible, effrayante, derrière certains phénomènes étranges de plus en plus fréquents ?

Lobsang, une intelligence artificielle d’une puissance phénoménale et à l’humour très particulier (merci Terry Pratchett), affrète un dirigeable hyper technologique et part en quête de réponses. Elle s’adjoint les services de Josué Valienté, un jeune homme tout aussi spécial. Il est ce qu’on appelle un passeur né. Pour lui, nul besoin de machine, ni même de patate. Pour lui, pas de nausée après chaque passage. Traverser les mondes est aussi simple qu’éternuer ou respirer. Et le voyage commence, l’occasion pour le lecteur de rencontres savoureuses : des cités nouvellement bâties, des peuples étranges, des animaux fabuleux…

Mais tout cela est bien lent à se mettre en place. Même si le roman est le premier d’une série (le deuxième tome est d’ailleurs paru en juin dernier en VO), même si on se place donc dans le long terme, il est frustrant de devoir attendre la moitié du roman pour se dire qu’on entre enfin dans le vif du sujet. Les questions évoquées sont passionnantes : comment se créent de nouvelles sociétés ? Quelles conséquences pour la nôtre ? Comment réagir face à un tel bouleversement ? Mais, outre le début plus que poussif, La Longue Terre ressemble plus, sur d’interminables passages, à une galerie de mondes parallèles, avec ses descriptions d’animaux phénoménaux, ses plantes exotiques. Sans but apparent que d’occuper l’espace. Si tout pouvait être aussi rythmé que la fin !

Deux grands noms des littératures de genre qui s’associent dans le cadre d’un roman commun, finalement, ça fait saliver autant que ça inquiète. Chacun peut, bien sûr, s’appuyer sur les talents de l’autre et les mettre en valeur, rebondir sur les idées de son comparse et entraîner le lecteur vers des sommets : ça, c’est De bons présages (qui réunit Pratchett et Gaiman). Mais ils peuvent aussi se neutraliser, ne gratifiant le texte que de l’ombre d’eux-mêmes : ça, c’est La Longue Terre. Le ton mordant de Terry Pratchett, mondialement connu pour son cycle du « Disque-Monde » à l’humour ravageur, ne se retrouve que de temps en temps, plus diffus, plus inoffensif. La force de Stephen Baxter, sa capacité à susciter des voyages ébouriffants, vertigineux (ainsi, dernièrement, dans Accrétion aux éditions du Bélial’) sont atténuées. Bref, un premier voyage en longue Terre bien… long, justement ; de quoi attendre la suite avec un soupçon d’inquiétude…

Raphaël GAUDIN

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