1366. En raison de ses excès, Nicolas Eymerich est destitué de ses charges de grand Inquisiteur d’Aragon et renvoyé chez lui, à Gérone. Au lieu de quoi, il se rend à Padoue où il découvre dans un palais des Carrare une fresque en cours d’exécution qui fait peser un soupçon d’hérésie. Plus irritable et odieux que jamais, il somme Pétrarque, le concepteur de la fresque, de s’expliquer. Les premiers éléments l’incitent à embarquer pour Constantinople avec frère Pedro Bagueny, élève inquisiteur que les manifestations démoniaques impressionnent. Pour ce faire, il s’inscrit frauduleusement à une croisade à laquelle participe aussi Amédée de Savoie, qui arbore un drapeau représentant la constellation d’Orion. En effet, Jean V Paléologue s’est converti au catholicisme afin de sauver Constantinople menacée par les Turcs. Actuellement prisonnier de Louis, roi de Hongrie, son épouse, l’impératrice Hé-lène Cantacuzène, cherche à se protéger par tous les moyens à sa disposition, même les moins orthodoxes. La ville, dans un état lamentable, n’est plus que l’ombre d’elle-même. Hélène demande à Eymerich de les protéger contre la menace de géants hurlants qui, chaque matin, avancent dans la mer, toujours un peu plus près du palais. Fort de ses connaissances occultes et de son art de la déduction, l’inquisiteur, tel un Sherlock Holmes flanqué de frère Bagueny en guise de Dr Watson, dans un fabuleux combat final contre un impressionnant démon, met fin à l’hérésie qui en est à l’origine.
Comme toujours chez Evangelisti, l’intrigue se déroule sur trois trames temporelles distinctes : d’une part une guerre future où des géants pilonnent les colonnes de Ninive, chaque faction utilisant des guerriers qui n’ont plus rien d’humain, d’autre part le projet de Frullifer d’envoyer, en direction de Bételgeuse, un rayon qui transformerait l’étoile en nova de façon à anéantir les adversaires de l’Union des Etats-Unis, armée issue de leur partition en trois blocs.
Ces deux intrigues restent assez minces, comme si Evangelisti s’en désintéressait, une fois établies les correspondances avec l’époque même d’Eymerich. Ce qui n’empêche pas l’auteur de mettre en parallèle les conflits religieux qui débouchent sur des schismes, et les moyens inhumains mis en œuvre pour s’assurer la victoire dans des guerres où les combattants n’ont plus rien d’humain. La partition future des Etats-Unis combattant les fedayins est un calque de la décomposition de l’empire byzantin attaqué par les Ottomans. La mécanique désormais bien rôdée semble toutefois tourner à vide, n’était l’ironie avec laquelle l’auteur développe les arguments des débats religieux opposant diverses chapelles. L’humour distancié, parfois burlesque, allège un récit fourmillant de détails historiques. Face à l’immense travail de reconstitution, un rafraîchissement préalable des connaissances sur la dynastie des Paléologue et des Cantacuzène n’est pas inutile pour s’adapter à la démarche immersive de Valerio Evangelisti.
Saluons au passage l’abnégation éditoriale des éditions la Volte qui ont mené, sous une élégante maquette, l’intégrale française de la saga de « Nicolas Eymerich », qu’un dixième opus clora bientôt — une entreprise sur laquelle plusieurs prédécesseurs s’étaient cassé les dents…