Connexion

Les critiques de Bifrost

La Lune n'est pas pour nous

Johan HELIOT
FOLIO
416pp - 9,90 €

Bifrost n° 35

Critique parue en juillet 2004 dans Bifrost n° 35

Nous sommes en 1933, cinquante ans après les événements relatés dans La Lune seule le sait. L'humanité se divise désormais en deux camps. Sur la Lune vivent les « Sélénites ». Grâce à la technologie des Ishkiss, une race extraterrestre venue du fin fond de l'univers, cette nation libertaire terraforme notre satellite afin d'en faire un endroit fertile où il fait bon vivre.

Sur Terre, c'est l'enfer. Hitler est sorti vainqueur de la Guerre Totale et a imposé à l'Europe des conditions de reddition draconiennes. En France, le Führer a pillé le patrimoine historique et culturel, transférant les monuments principaux vers Germania, la capitale du Reich. Des bidonvilles se sont érigés sur les bords de la Seine, haut lieu de la misère et de la criminalité. Les ligues fascistes se sont emparées du pouvoir et font régner la terreur.

Dans ce contexte difficile, la Lune, paradis inaccessible, déchaîne l'envie et la haine. Des frustrations soigneusement entretenues par une propagande allemande anti-Sélénite très active. Car la mégalomanie d'Hitler ne supporte pas l'affront politique que représente la nation libertaire. Contre cet ennemi, la Solution Finale s'impose.

L'alliance symbiotique Humains/Ishkiss, pourtant pacifiste dans l'âme, va devoir se battre durement pour sauver le paradis lunaire.

Quatre ans après la parution de La Lune seule le sait, Johan Héliot et les éditions Mnémos sont fiers de vous présenter… la suite ! Quatre ans, et autant (voire un peu plus) de livres publiés pour Héliot, et une qualité assez inégale.

On retrouve cependant ici, et avec le même bonheur, les ingrédients qui ont fait le succès du premier opus. Une pléthore de personnages connus, tels Léo Malet, Léon Blum, Jean Gabin ou encore Albert Einstein. Une histoire bien ficelée dans laquelle Héliot interprète de façon magistrale les faits historiques. Des clins d'œil culturels amusants, des extraterrestres idéalisés et sympathiques. Avec La Lune n'est pas pour nous, Héliot nous convie à un véritable festival d'érudition et d'inventivité qui réjouira les amateurs de steampunk.

Certes, le rythme du récit est assez inégal et souffre vers le milieu d'une certaine baisse de régime. La tension dramatique n'est pas ébouriffante, et on ne s'inquiète jamais vraiment pour les personnages, ce qui est très certainement dû à la présence constante des extraterrestres, tellement puissants par rapport aux humains que le lecteur sait d'avance qu'il ne peut rien arriver de bien méchant aux héros. Du coup, les protagonistes manquent parfois de corps. L'absence d'enjeux personnels, noyés dans la préoccupation collective, rend les personnages un peu frustres et affadit l'histoire, qui n'en demeure pas moins agréablement lisible.

Et ce n'est pas le plus important. Car je ne peux m'empêcher de comparer ce récit à « Obsidio ». L'engagement politique et humanitaire d'Héliot est toujours présent, mais il a su mettre de l'eau dans son écriture et nuancer son propos de façon étonnante. Là où, auparavant, notre auteur n'était que colère maladroite et petit poing vengeur haut levé digne d'un adolescent en pleine révolte, nous voyons désormais un écrivain plus posé qui tempère son propos par une couche d'humour — parfois de cynisme — , une sorte de distanciation qui donne bien plus de poids à sa démonstration. Une tempérance qui n'entrave en rien sa fougue, mais lui apporte plutôt une touche de maturité qui porte bien plus que la tempête coléreuse, désordonnée et agaçante d' « Obsidio ».

Au final, un deuxième tome digne du premier, qui représente une étape importante dans le parcours d'Héliot et qu'il faut lire si vous suivez l'évolution de cet auteur. Pour les autres, La Lune n'est pas pour nous reste un récit plus que plaisant, du bon steampunk à la française digne de figurer sur la liste de vos prochains achats.

Sandrine GRENIER

Ça vient de paraître

La Maison des Jeux, l'intégrale

Le dernier Bifrost

Bifrost n° 116
PayPlug