Yûsuke MIYAUCHI, Project ITOH, Takayuki TATSUMI, Denis TALLANDIER, Toh ENJOE, Hirotaka TOBI, Taiyô FUJII
ATELIER AKATOMBO
300pp - 19,00 €
Critique parue en octobre 2021 dans Bifrost n° 104
La première chose qui surprend dans cette anthologie de science-fiction japonaise, c’est qu’à aucun moment aucun des auteurs (que des hommes) ne parle du Japon, de la société japonaise, du futur japonais, de « chez eux », à part peut-être Hirotaka Tobi, et encore de façon très oblique.
« La Machine à indifférence », déjà lue dans le numéro 39 de la nouvelle série de la revue Galaxies, et qui ouvre l’anthologie, est une histoire d’enfants soldats en Afrique. Bien que ça soit de loin le meilleur texte de la sélection, on ne peut pas dire qu’il supporte la comparaison avec Johnny Chien Méchant d’Emmanuel Dongala, qui est un peu le livre-référence sur le sujet, et a été adapté au cinéma par Jean-Stéphane Sauvaire, auquel on peut toutefois préférer Bêtes sans patrie d’Uzodinma Iweala (dans la belle traduction d’Alain Mabanckou) adapté, lui, pour Netflix, par Cary Joji Fukunaga. Le second texte, « Les Anges de Johannesburg », se situe lui aussi en Afrique, plus précisément dans une Afrique du sud molle comme un montre de Dalí, extrêmement peu convaincante, qui devrait faire pisser de rire Lauren Beukes ou Paul Crilley. « Bullet », de Toh EnJoe, se déroule pour sa part aux USA (mais pourquoi ? a-t-on envie de hurler à ce moment-là ; parce qu’il y a une arme à feu ? Mouais, peut-être…). « Batlle Loyale » de Taiyo Fujii a pour cadre général la Chine, un pays que visiblement l’auteur n’apprécie guère. Quant à « La Fille en lambeaux » d’Hirotaka Tobi, le récit commence et finit à Lisbonne, et sa géographie japonaise se réduit à « une pièce à la Kubrick » (comprendre tout en nuances de blancs) et une chambre d’étudiante. Ce texte-là, pas le plus maîtrisé, mais sans doute le plus fascinant de tous, met en scène une jeune femme obèse, d’une immense laideur, qui attire dans sa toile, comme une araignée, une magnifique étudiante métis nippo-suédoise, le tout sur fond de révolution en matière de réalité augmentée. J’y ai trouvé des accents d’Edogawa Ranpo, une esthétique du mal assez proche de Shin’ya Tsukamoto. Marquant.
Cette anthologie a un mérite majeur, elle montre toute la distance qui sépare (en termes de puissance narrative notamment) la science-fiction de langue anglaise et cette science-fiction japonaise qui semble pour le moment avancer à tâtons comme un très jeune chiot. Si le Japon excelle en matière de science-fiction, et cela ne fait aucun doute, c’est plutôt à travers ses mangas.