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Les critiques de Bifrost

La Machine à remonter les rêves

Richard COMBALLOT, Johan HELIOT, Xavier MAUMÉJEAN, Pierre STOLZE, Christian VILA, Daniel WALTHER, Pierre PEVEL, Hervé JUBERT, Richard CANAL, Michel LAMART, Philippe CURVAL, Ugo BELLAGAMBA, Michel PAGEL, Jean-Pierre HUBERT, Serge RAMEZ, Michel JEURY
MNÉMOS
19,00 €

Critique parue en avril 2005 dans Bifrost n° 38

Après l'excellent Mission Alice, anthologie conçue autour de Lewis Carroll, après Les Ombres de Peter Pan, hommage au lutin malicieux créé par J. M. Barrie, Richard Comballot, ici aidé de Johan Heliot, salue le centenaire de la mort de Jules Verne avec ce choix de dix-huit récits. Son vaste univers est moins facile à cerner que celui de Carroll ou de Barrie puisqu'il concerne les voyages autant que les inventions extraordinaires ; on trouvera donc là aussi bien des uchronies que du steampunk ou des récits de science-fiction que Verne aurait pu écrire s'il avait vécu à une autre époque. La large palette de possibilités n'entraîne cependant pas une trop grande dispersion.

Dans le registre de l'aventure, Verne vit la plupart de ses voyages, cherchant le sphinx des glaces (« La Mystérieuse Antarctide » de Christian Vilà), contrant des personnages de ses œuvres : le Dr Ox (« On A Volé Le Pôle magnétique », d'Hervé Jubert), Wilhelm Storitz (« Le Retour de Wilhelm Storitz » de Daniel Walther), Phileas Fogg dans « Cuit dur » de Xavier Mauméjean, délirant récit multipliant les références, jusqu'à inclure la recherche d'un faucon solaire qui inspirera à Verne journaliste une aventure de Philippe Marelaut ! C'est aussi l'occasion d'aborder les thèmes que Verne n'a pas traités : les univers parallèles (« Eve, à tout jamais », de Michel Jeury qui signe là son retour à la S-F), les extraterrestres, le voyage dans le temps, la mécanique quantique (dans « Le Gouffre aux chimères » de Serge Lehman, un autre revenant, Verne est le père de la résurgence quantique) mais aussi l'élixir de mémoire qui aide le personnage du récit d'Ugo Bellagamba, s'inspirant du rayon vert, à retrouver un amour perdu (« Non-absinthe »). Les personnages les plus fréquents sont le capitaine Némo, devenu un conquérant de Mars (« 20000 lieues dans l'espace », de Jean-Pierre Vernay) et Wilhelm Storitz, dont le machiavélisme a été source d'inspiration. Outre l'invisibilité, il serait également capable, pour Michel Pagel, de voyager dans le temps (« Le Véritable Secret de Wilhelm Storitz »).

Parmi les personnages réels mis en scène, Hetzel est moins souvent évoqué qu'on ne pouvait le penser alors que le fils est beaucoup plus présent : à Michel Verne, qui a considérablement remanié certaines de ses œuvres, Jules écrit des lettres relatant des épisodes inconnus de sa vie ou des projets de roman. Parmi ses contemporains, son concurrent Wells est considéré comme un plagiaire (« La Guerre des mondes a bien eu lieu » de Pierre Stolze) auquel l'auteur lègue d'ailleurs les romans qu'il n'aura pas le temps d'écrire, Méliès et Nadar, dont les images magiques permettent de rendre réelle la fiction (« Magicis in Mobile » de Pierre Pevel) ou au contraire de retirer de l'âme aux personnages réels : Ardan, le personnage de Verne, anagramme de Nadar, est-il impressionnable sur la pellicule (« Blanc partout » de Michel Lamart) ?

La fascination qu'exerce son œuvre incite plusieurs auteurs à le ressusciter avec des aléas divers : Richard Canal le recrée à partir d'une machine analysant ses textes mais c'est Michel qui apparaît (« Le Dieu mécanique »), Jean-Pierre Hubert et Serge Ramez le clonent mais obtiennent soit le fils, soit le père et Hetzel, un père très priapique, d'ailleurs (« La Journée d'un écrivain français en 2889 ») ; quant au triste exemplaire de Jean-Jacques Girardot, il sert de guide aux élèves du futur (« Une Visite au pavillon Jules Verne »). Cette œuvre est si complète qu'elle est un univers en soi et que pour bien des auteurs, il s'est forcément mis à exister ; outre les nouvelles de Pevel et Lamart traitant du rapport entre le rêve et la réalité, les récits de Philippe Curval (où un personnage de « La Chasse au météore » s'introduit dans l'esprit de Verne pour changer ses écrits) et Jacques Barbéri (« La Machine à remonter les rêves ») exploitent des idées similaires, la plus belle étant sans conteste celle de Fabrice Colin qui peuple le néant de pensées : Michel Verne enferme le lecteur dans l'univers de son père où s'affrontent deux personnages, mélanges des héros de Verne et symbolisant le conflit irrésolu de l'auteur entre l'Imaginaire et la Science (« Intervention forcée en milieu crépusculaire »).

L'anthologie se clôt par une postface de François Angelier sur l'auteur et son œuvre et par une anecdote rapportée par Luc Dutour, dont on cherche l'intérêt.

À lire ces récits de bonne tenue, il est clair que, comme l'affirment Comballot et Heliot, Jules Verne n'a pas fini de faire rêver.

Claude ECKEN

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