[Critique commune à This is not America et La Maison aux fenêtres de papier.]
Actualité chargée, en ce début 2009, pour notre éminent collaborateur Thomas Day. Deux ouvrages ont en effet tout récemment enrichi sa bibliographie : le court recueil de nouvelles This is not America, publié par ActuSF dans sa décidément sympathique collection des « Trois Souhaits », et le roman La Maison aux fenêtres de papier, publié directement en poche en Folio « SF » — une fois n'est pas coutume, mais la coutume est régulièrement violée chez cet éditeur et c'est tant mieux. Deux ouvrages très différents, donc, et présentant diverses facettes d'un auteur qui, on le sait, a plus d'un tour dans son sac ; mais deux publications finalement très proches, revendiquant toutes deux l'influence de Quentin Tarantino (pas forcément pour ce qu'il a fait de mieux, d'ailleurs), au milieu d'autres références plus ou moins cryptiques, et marquées par un goût prononcé pour le voyage et l'exotisme.
Ce qui est petit étant joli, commençons donc par évoquer This is not America. Derrière ce titre musical et connoté (une habitude ?) se cachent trois nouvelles dépeignant une Amérique « qui n'est tellement plus elle-même qu'on a déjà l'impression de la connaître », pour citer la belle formule de la quatrième de couverture. Nul anti-américanisme de bas étage à craindre pour autant : ce qui intéresse ici Thomas Day, c'est le rêve américain, avec ses idoles et ses tares, trituré jusqu'à la moelle par un auteur qui connaît son sujet.
Le recueil s'ouvre sur « Cette année-là, l'hiver commença le 22 novembre », nouvelle façon road movie qui nous explique à demi-mots ce qui s'est vraiment passé le 22 novembre 1963 à Dallas, en jouant plus ou moins sérieusement de l'inévitable histoire secrète, avec des vrais morceaux de l'inévitable théorie du complot. Un texte rondement mené, palpitant de bout en bout et d'une efficacité certaine. Dommage, toutefois — mais cela faisait évidemment partie du jeu — qu'on ait plus ou moins déjà lu ça cent fois…
On préférera sans doute « American Drug Trip », nouvelle burlesque et déjantée reposant sur une variation dickienne à base d'univers parallèles, avec plein de choses réjouissantes et improbables dedans. Une autre vision de l'Amérique, effectivement, bourrée de références et pour le moins jubilatoire. Probablement le meilleur texte de ce bref recueil — que les lecteurs de Bifrost auront toutefois déjà lu dans notre vingt-sixième livraison…
La dernière nouvelle, « Eloge du sacrifice », est plus grave en apparence — s'y pose un terrible dilemme —, mais les références, et plus largement les bonnes idées, abondent à nouveau — on notera au passage quelques très belles scènes de bataille… tout en regrettant, peut-être, que ce texte se montre un peu artificiel et n'aille pas forcément jusqu'au bout de ses idées, le tout pouvant laisser un brin perplexe.
This is not America se révèle être au final un agréable petit recueil, savoureux et efficace. Rien de transcendant, certes, mais le fait est que cela se lit tout seul et qu'on en redemande volontiers.
Ça tombe bien, La Maison aux fenêtres de papiers est là pour ça. Sous une belle couverture de Daylon, Thomas Day y retrouve son Japon chéri après La Voie du sabre (Folio « SF ») et L'Homme qui voulait tuer l'Empereur (roman publié dans le Bifrost n° 32 et réédité chez Folio « SF »), mais versant contemporain, cette fois. Le sous-titre est parlant : « Hommage à Fukasaku Kinji, Takashi Miike et Quentin Tarantino ». L'influence des trois réalisateurs se sent en effet dans cette histoire débordant de yakuzas, de giclées d'hémoglobine et de sodomie à sec (pas de doute, on lit bien du Thomas Day). Mais on pourrait également y rajouter Takeshi Kitano, largement cité dans la filmographie en fin de volume, et dont l'influence se retrouve essentiellement dans de très réjouissants intermèdes ludiques (« paroles de yakuzas ») évoquant furieusement Sonatine (surtout), Hana-Bi et Aniki. Plein de bonnes choses, donc, et un programme tout ce qu'il y a d'attrayant.
L'essentiel de l'histoire repose sur la rivalité entre deux puissants clans de yakuzas, dirigés par deux frères, deux démons nés des cendres d'Hiroshima et de Nagasaki. Le chef du clan Nagasaki a élevé à sa manière (pour le moins rude) la troublante Sadako, une femme-panthère muée en irrésistible machine à tuer. Un jour, cependant, la destinée déjà étonnante de la jeune femme prend un brusque virage, quand Nagasaki Oni lui confie la terrible Oni No Shi, une épée légendaire et tueuse de démons. Un héritage difficile à porter et qui, très vite, jouera son rôle dans la guerre impitoyable que se livreront les deux clans yakuzas.
Cette fantasy urbaine crue et violente nous vaut un roman d'action efficace de bout en bout, et tout à fait distrayant. L'hommage est réussi, et les amateurs ne pourront que s'en trouver comblés. Mais le meilleur ne réside pourtant peut-être pas dans cet aspect du roman, qui n'est par ailleurs pas exempt de menus défauts : on peut ainsi regretter que cette trame, outre son côté passablement bourrin, se montre parfois un peu trop didactique, et que les éléments relevant proprement de l'imaginaire donnent en fin de compte une impression d'artifice, voire de superflu…
Mais l'aventure de Sadako est encadrée par un prologue et un épilogue cambodgiens narrant, le premier du point de vue de Nagasaki Oni, le dernier de celui de son frère démoniaque, les origines de l'Oni No Shi. Ce qui nous donne, dans un sens, deux nouvelles de fantasy à la fois plus classiques de par leur côté « archaïque », et plus étonnantes et séduisantes en raison de leur cadre original, entourant le récit contemporain. La plume de l'auteur s'y fait plus fine, plus travaillée, sans que le récit ne s'en trouve édulcoré pour autant. Il s'en dégage une belle puissance narrative et un souffle remarquable, qui rendent cette Maison aux fenêtres de papier plus convaincante encore.
En somme, Thomas Day nous a gâtés avec ces deux ouvrages, certes pas parfaits, mais témoignant assurément tant du talent de l'auteur que de la cohérence dans la variété de son œuvre.