Thomas DAY
FOLIO
302pp - 9,40 €
Critique parue en octobre 2020 dans Bifrost n° 100
La Maison aux fenêtres de papier nous envoie une nouvelle fois dans l’Asie si chère à son auteur. Ici, la destination choisie est le Japon, héritier des croyances très anciennes, quoique bouleversé par la Seconde Guerre mondiale et les bombardements d’Hiroshima et de Nagasaki. Ces deux événements ont donné naissance aux protagonistes de ce roman : les démons Nagasaki Oni et Hiroshima Oni, immenses par leur taille et d’une force impressionnante. Ces atouts, ainsi que leur violence innée liée aux circonstances de leur naissance, vont les aider à accéder au rang de puissants chefs de clans yakuzas. Et comme, bien sûr, tout est affaire de pouvoir parmi les yakuzas, les deux démons n’ont de cesse de s’affronter, même si les rapports de force sont assez équilibrés. Toutefois, Nagasaki Oni a dans sa manche l’atout Sadako, sa maîtresse, une femme-panthère qu’il a élevée depuis qu’il l’a recueillie dans le but d’en faire une tueuse hors pair – un atout qui pourrait bien faire pencher la balance en sa faveur…
Dès la page de titre, qui annonce ce livre comme un hommage à Fukasaku Kinji, Takashi Miike et Quentin Tarantino, on se doute que le roman va faire dans le violent et l’outrancier. On ne présente plus le cinéma ultra-référentiel de QT. Fukasaku est quant à lui célèbre pour avoir donné, dans les années 70, ses lettres de noblesse au jitsuroku eiga, film de yakusas, forcément furieux, et régi par un code d’honneur très strict. Enfin, le très prolifique Takashi Miike est également connu pour son ciném extrême, comme Ichi the Killer, Audition, ou son segment de l’anthologie télévisuelle Masters of Horror, jugé trop brutal pour une diffusion sur le petit écran. Et le roman de Day est exactement ça : une violence omniprésente, qu’il s’agisse de combats impressionnants à la chorégraphie aussi stylisée que brutale, ou de violence psychologique, comme les rapports qu’entretiennent Nagasaki Oni et Sadako. Selon la formule consacrée, âmes sensibles s’abstenir. Day assume ce choix, en nous livrant quelques scènes chocs ; les lecteurs rompus à ces styles cinématographiques trouveront l’exercice jouissif, mais on imagine que l’aspect outrancier en aura déstabilisé, voire incommodé d’autres. Au milieu de ce déferlement de violence, on lit quelques échappées poétiques, comme les deux contes qui ouvrent et clôturent l’ouvrage, envoûtants et violents à la fois, contrepoints astucieux au Japon moderne du cœur du roman, et preuves de la dualité des fondements de la société nippone. Un code de l’honneur qui pousse des combattants disposants d’avantages décisifs à ne pas les utiliser contre leur adversaire afin que le combat soit le plus honnête possible.
Roman parmi les plus méconnus de l’auteur, bâti sur un solide travail de documentation, La Maison aux fenêtres de papier s’avère un exercice de style référentiel, sans doute pas le plus original de Thomas Day, mais diablement efficace et très visuel. On devine que l’auteur s’est fait plaisir à sa rédaction, rendant un hommage appuyé à plusieurs maîtres du cinéma d’action tout en s’appropriant un pan de la culture asiatique qui manquait à son œuvre jusqu’alors.