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Les critiques de Bifrost

La Maison aux pattes de poulet

La Maison aux pattes de poulet

GennaRose NETHERCOTT
ALBIN MICHEL
24,90 €

Bifrost n° 114

Critique parue en avril 2024 dans Bifrost n° 114

Un héritage. Voilà ce qui attend les enfants Yagga, le frère et la sœur, qui ne se sont plus vus depuis dans années. C’est que lui, Isaac, a des semelles de foudre. Un jour ici, l’autre là, une vie de bohème, une vie de hobo, moitié clochard céleste, moitié poète à la resquille aisée, une vraie anguille. Le Roi caméléon, car doté d’une étrange aptitude, celle de singer quiconque, jusque dans les plus infimes détails, jusqu’à s’en oublier lui-même. Elle, la vingtaine, travaille de ses mains. Il faut dire que Bellatine, « elle a les paumes pleines d’une ardeur de fournaise ». Une ardeur aux conséquences qui la terrifie, l’ensauvage, la contraint à garder son monde à distance. Si Isaac est d’une onctuosité scintillante et maligne, Bellatine est d’une dureté angulaire granitique. Et les voilà tous deux réunis dans le port de New York, devant cette caisse gigantesque venue d’Ukraine, de si loin, de si longtemps aussi. Qui y a-t-il au sein du conteneur ? Une maison. Pourvue de pattes. Une maison aux pattes de poulet. Oui oui. Vivante, en somme. Qui marche. Court, même et surtout. Et pourquoi court-elle ? Que fuit-elle ? L’horreur, les pogroms, l’histoire du Vieux monde, celle d’une violence aveugle, définitive. Et Ombrelongue, bien sûr, venue pour finir le boulot, à travers le temps…

Ce roman est l’histoire de Baba Yaga et de Pieds-de-chardon, sa demeure. L’histoire d’une famille juive déracinée, migrante, au cœur d’un pays qui cherche les siennes, de racines, dans les bagages fantômes de ceux qui l’ont construit. L’histoire d’Isaac et Benji, son ami des chemins de traverses, des Yaga et de leurs marionnettes, de Bellatine et de son Embrasement. Il est question de lignées, de mémoires, de famille. De comment le passé peut réparer le présent, et inversement. L’histoire des histoires, et de l’importance cruciale de ces dernières en ce qu’elles façonnent les mythes, et avec eux les liens, donnent du sens et réenchantent le monde. L’histoire de femmes puissantes, enfin, qui sont le fil d’une mitochondrie ancestrale, millénaire.

GennaRose Nethercott signe ici un roman riche et foisonnant qui brasse large, dans une langue tout aussi riche, inventive, imagée – on s’incline, et comment, devant le travail remarquable d’Anne-Sylvie Homassel, qui a restitué l’ensemble dans un français tout ce qu’il y a d’épatant. Un premier roman, qui plus est, entre les mythologies universelles d’un Neil Gaiman et le folklore américain d’un Ray Bradbury, parfois un poil long mais qu’importe. « Ne vous approchez pas de la maison de Baba Yaga, sinon elle vous plantera une bougie dans le crâne pour vous transformer en lanterne. » Trop tard, et tant mieux : nous voilà tous devenus Jack-o’-lantern par la magie des mots.

Un beau livre.

 

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