Gwen GUILYN
PANSEUR (éditions du)
192pp - 19,00 €
Critique parue en avril 2025 dans Bifrost n° 118
Cette Maison biscornue n’a bien évidemment rien à voir avec l’excellente nouvelle éponyme signée Robert Heinlein (« And He Built a Crooked House », publiée en France à plusieurs reprises, notamment dans le « Livre d’or » que Pocket consacra à l’auteur en 1981).
Si ce n’est pas la famille à tuyau de poêle qui vit dans cette bien étrange demeure (quoique…), l’histoire qui semble se dérouler dans le non-temps du conte, hors de toute modernité (ici pas de télé ni de téléphone ni même d’électricité), n’a rien de la famille idéale. Et voilà que cette maison plus ou moins vivante et vorace a fait disparaître la porte donnant sur l’extérieur. Et cette famille plus décomposée que recomposée du « pahr », de la « mahrgrand », de l’« ongre », de la « fille » et de « l’aut’fille » et du « fils », de se retrouver prisonniers. Non que l’on en sortait de toute façon beaucoup, de cette maison…
L’autrice « étrange » ses mots — expression qui pourrait être un bon exemple de la manière dont Gwen Guilyn travaille la matière du langage, substantifiant verbes et adjectifs à l’envi, et inversement. La syntaxe est celle d’un milieu intellectuellement pauvre, du genre « La fille, elle, elle sait… » (p. 85), où le sujet se voit triplé. Autant de jeux langagiers qui pourraient vite sombrer dans un charabia ridicule, et pourtant, force est de constater que cela fonctionne plutôt bien. S’y ajoutent un brin d’argot, des termes familiers ou enfantins (les « pinpins » pour les lapins, par exemple). On pense à Christine Brooke-Rose, et l’effet créé est bien celui voulu. On évolue par ailleurs ici davantage en terres de fantasy que de fantastique, car il n’y a pas irruption de la surnature dans la réalité conventionnelle. Cette maison enclose sur elle-même, si imaginaire qu’elle paraisse au lecteur, constitue un univers des plus naturel au regard des protagonistes qui l’habitent.
La famille que nous présente Gwen Guilyn s’avère totalement dysfonctionnelle… et décomposée, au propre comme au figuré. La mère (mahr) est déjà partie, quant au fils, on découvrira sur le tard ce qu’il en est. Le schéma familial traditionnel est rompu depuis des lustres, les dysfonctions se réitérant d’une génération sur la suivante. Sans que les personnages soient débiles, la déficience mentale n’est pas loin, et la consanguinité semble tapie derrière chaque porte, à chaque détour des couloirs sans fin. « Sans les femmes, il n’y a rien » ; « La vérité des maisons : elles tiennent par les femmes, seulement par les femmes. », nous dit l’autrice. Ce qui s’avère on ne peut plus vrai, en tout cas ici. La maison semble appartenir à quelque univers dix-neuvièmiste de faubourg ou semi-rural, mais fermé sur lui-même, un temps où les hommes allaient gagner la pitance au-dehors tandis que les femmes tenaient le foyer, ce qu’elles ne manquent pas de faire dans ces pages. Mais, la maison étant close, les hommes ne remplissent plus leur rôle à l’extérieur, et vivent donc en inutiles, en parasites — surtout l’« ongre », même le « pahr » est lui aussi très loin de ce qui est attendu… Enfin, passablement glauque, l’omniprésence du pus et des sanies dans La Maison biscornue et l’horreur contemporaine interpellent nos sociétés hygiénistes.
Gwen Guilyn, dont le Malou dit vrai est reparu il y a peu en Folio « SF », flirte avec la ligne rouge sans la franchir. Même si le récit faiblit dans son dernier tiers, notamment en matière de torsion du langage, son charme principal, on tient là un roman convainquant, vraiment original et méritant d’être découvert.