En fait de maison, il s’agit plutôt d’un immeuble, la tour des Erables, située dans une cité semblable à toute autre. Les habitants se croisent, se connaissent parfois, et tout ce beau monde vit ensemble, les uns heureux, les autres moins. Un jour, en plein milieu de l’été, ils se réveillent en constatant que leur univers se réduit désormais à quelques dizaines de mètres autour de leur habitation. Au-delà, rien d’autre qu’un mur de brume opaque. Et ce silence… Un habitant décide de franchir le mur, les autres l’entendent pousser un hurlement, et il ne revient pas. Dès lors, ils comprennent que ce brouillard représente une menace, à laquelle ils vont devoir faire face sans espérer une aide venue de l’ « extérieur ». Et ce huis-clos, qui tourne peu à peu au jeu de massacre, va jouer le rôle d’un révélateur implacable des vraies personnalités des uns et des autres…
Ce qui intéresse Andrevon, ce n’est clairement pas l’histoire de ce qu’il advient à la Tour des Erables — la menace met longtemps à se manifester de manière plus tangible, et quand elle le fait c’est sans explication. A ce titre, l’explication finale, car il y en a une, revendique pleinement ce manque d’intérêt, vaste pied de nez à tous les défenseurs d’une science-fiction étayée, expliquée, rationalisée. L’intrigue n’est qu’un prétexte nécessaire à l’auteur pour se livrer à une étude comportementale des habitants, en traçant une bien belle galerie de portraits, et en empoignant à pleines mains ce matériau humain si riche de surprises, contradictions, actes héroïques ou ignobles… D’un ensemble d’individualités, Andrevon s’applique à faire une communauté où les liens, face à l’inconnu et à l’angoisse, se resserrent peu à peu. Dès lors, même si on est en pleine science-fiction, c’est davantage à un roman social qu’on a affaire ; et on ne peut que constater, malgré certains personnages caricaturaux — toutefois tellement crédibles qu’ils sont finalement l’exact reflet de la réalité —, qu’Andrevon n’a pas son pareil pour décrire les travers, les vantardises, les élans d’humanité qui sont le propre de l’Homme. En outre, il fait fi de toute bienséance : les intégristes le restent jusqu’au bout, allant jusqu’à commettre l’irréparable, les racistes aussi, tandis que les amateurs de cul sous toutes ses formes prennent régulièrement leur pied… Nul doute que certaines dents grinceront une nouvelle fois à la lecture de la prose d’Andrevon, laquelle se caractérise également par une très grande précision dans les détails : la description d’une scène de petit-déjeuner peut prendre une page entière ! C’est la méthode qu’emploie l’auteur pour nous immerger totalement dans l’immeuble ; à force de connaître jusqu’aux habitudes matinales de tel père de famille, ou aux marques achetées par telle ménagère, on a l’impression de toujours avoir habité la tour des Erables. Il est donc d’autant plus étonnant de constater que le livre est truffé de coquilles et d’incohérences : les noms de plusieurs personnages changent au cours du roman, le décompte du nombre de survivants est totalement farfelu… Dommage que la relecture n’ait pas été suffisamment attentive pour gommer ces défauts qui, à la longue, se révèlent particulièrement agaçants.
Si certains seront déçus par la minceur de l’argument spéculatif, les autres sauront apprécier l’ironie et l’iconoclasme d’Andrevon. S’il ne signe pas avec La Maison qui glissait un roman inoubliable, l’écrivain grenoblois montre néanmoins qu’il est toujours là pour secouer le cocotier des bien-pensants.