Un monde. Où le Long Jour dure 300 ans, et contraint ceux qui l’habitent, sans relâche, à se déplacer vers l’ouest, pris en étau entre nuit glaciale et jour brûlant, l’ombre et la lumière, entre chien et loup, sur le fil du rasoir. Un monde hostile, donc, aux longs cycles, à la rotation paresseuse, et dont on comprend vite qu’il s’agit, sinon du nôtre, à tout le moins de notre Terre, sa géographie et ses toponymes, à peine travestis, ne trompant pas. Un monde qui pose donc une ambition, et nous place dans ce qui pourrait bien être notre futur – et du coup fait glisser La Marche du Levant de la fantasy stricto sensu à une espèce d’entre-deux comme les aimait l’immense Leigh Brackett. Comment ne pas non plus penser à Christopher Priest, bien sûr, et ses villes mouvantes du Monde inverti semblables à la présente Odessa en perpétuelle transhumance, tractée par une armée de bœufs, au cœur du récit. On pense à Caza, aussi, et son cycle d’ « Arkadi », voire même, pourquoi pas, à l’Helliconia de Brian Aldiss.
Une prophétie, aussi. Qui annonce l’avènement d’un messie et la chute de l’actuel régime, le monde d’avant. Et son corollaire, la quête, celle du changement, du renouveau, de la régénération.
Et puis les héros, ou plutôt les héroïnes : une maîtresse assassine et une gamine prédestinée, les quelques figures qui les entourent.
Tout est là. Restent l’aventure, le souffle, la démesure. Ou pas.
Léafar Izen est un inconnu. Mais pas un total débutant ; quelques recherches sur le Net nous apprennent qu’il a autoédité un recueil de poèmes et un « précis de (méta)physique à l’usage du commun des immortels » (sic), et fait publier chez un éditeur régionaliste, Bord du Lot éditions, un premier roman, une anticipation, Grand Centre. Il arrive donc ici dans la cours des grands, pourrait-on dire, chez Albin Michel, rien que ça, et sous la houlette de Gilles Dumay, dont on ne peut ici que saluer le travail auprès des jeunes auteurs (il en publie deux sur cette seule rentrée 2020, celui qui nous occupe et Émilie Querbalec – Quitter les monts d’automne –, mais on pourrait aussi citer Jean-Michel Ré ou encore le prometteur Gauthier Guillemin). Pareil adoubement contextuel suscite un brin d’attente…
Las. Si tout n’est pas à jeter dans ce (trop) gros livre, force est de constater qu’on en ressort loin d’être convaincu. Le style, d’abord. Izen n’en est pas dénué, et il gagne même en simplicité, en efficacité, au fil du bouquin. Mais un peu plus de naturel, un soupçon de préciosité en moins (et aussi de « tel », de « nul » ou de « guère », sans même parler des dialogues !), moins de prétention et plus de naturel, en somme (méfiez-vous des livres dont les parties sont appelées des « chants » !). Et puis les maladresses, dans la gestion des points de vue, parfois, et cette manie de cribler le récit d’interjections mentales des personnages dans un mode narratif omniscient… Et encore, sans doute moins véniel, il y a les personnages, qui peinent à convaincre, faute de vraisemblance, et qui pâtissent du choix de les passer du premier plan à un rôle plus secondaire au fil des trois parties. Et c’est long, bon sang, trop, vraiment – même à l’aune d’un Long Jour de 300 ans. Quant à la fin annoncée çà et là comme renversante… bon, vous verrez, c’est selon, mais il est peu de dire qu’il y a matière à débattre.
Pareil inventaire ne signifie pourtant pas, on l’a dit, que tout soit à jeter dans cette Marche du Levant. Léafar Izen est un auteur en devenir, assurément, il a du souffle, tombe d’emblée ou presque un monstre de 650 pages offrant un décor par bien des aspects remarquable ; aucun doute qu’il en a sous le pied. Publier un jeune auteur est toujours un pari sur l’avenir. Il n’est pas impossible qu’il soit payant. Reste que d’ici là, on y réfléchira à deux fois avant de tenter l’aventure de cette première Marche… La vie est courte et nombreux sont les livres passionnants.