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Les critiques de Bifrost

La Marche funèbre des Marionnettes

Adam-Troy CASTRO
LE BÉLIAL'
128pp - 11,90 €

Critique parue en octobre 2024 dans Bifrost n° 116

[ Ce billet porte sur Les Fils enchevêtrés des Marionnettes et La Marche funèbre des Marionnettes ]

Caveat lector : ces deux livres relatent des événements dont les conséquences sont au cœur de La Guerre des marionnettes, du même auteur (cf. critique dans le Bifrost n°108), qui se déroule un peu plus tard, mais ils peuvent se lire indépendamment. Dans La Marche funèbre…, on découvre la planète Vlhan et ses énigmatiques habitants — les marionnettes du titre —, qui se livrent tous les ans à un Ballet réunissant cent mille individus, dont aucun ne survit à la cérémonie. Les diverses civilisations de l’univers connu y ont établi des ambassades afin d’étudier les Vlhanis, des êtres sentients à l’intelligence exceptionnelle mais au langage quasi indéchiffrable, et c’est Alex Gordon, un exolinguiste de l’ambassade homsap, qui nous raconte les faits — Alex Gordon, dont on nous dit dans La Guerre des marionnettes que « nul ne sait où il se trouve » ; cette lacune est ici comblée.

À l’approche du Ballet, on découvre qu’Isadora, une homsap considérablement augmentée pour être le plus possible à l’image des Vlhanis, est bien décidée à entrer dans la danse, ce que Hai Dhiju, l’ambassadeur homsap, désapprouve avec vigueur, qualifiant sa démarche de sectaire et de suicidaire. En usant d’une tactique qui se révèle être un piège subtil, autant pour lui que pour elle, Alex réussit à capturer Isadora, bientôt incarcérée dans l’ambassade, mais les choses tournent mal : loin de la considérer comme une intruse, les Vlhanis semblaient l’attendre avec impatience, et son absence va avoir des conséquences dramatiques.

Les Fils enchevêtrés… nous raconte comment Paul Rokyo, un shooteur néopic, et Ch’tpok, une homsap adoptée par un Riirgan, se sont rencontrés, rapprochés par l’intérêt que leur inspirent Shalakan, destinée elle aussi à participer au Ballet, et son époux Dalmo, brisé par une augmentation ratée qui ne l’empêche pas, d’énigmatique façon, d’incarner l’essence même du Ballet. L’expérience de Rokyo, maître éphémère d’un art musical obscur avant de devenir charognard médiatique, ainsi que les errements de Ch’tpok, qui causeront en partie la catastrophe décrite dans La Guerre des marionnettes, sont ici exposés de poignante façon

Au passage, il conviendrait de compléter ces deux novellas par « Les Lames qui sculptent les marionnettes », qui sert de prélude au roman suscité, tant elle prolonge et amplifie les thèmes développés par Adam-Troy Castro. L’univers qu’il a imaginé est noir, très noir, et il y brasse quantité de concepts que l’on pourrait à juste titre qualifier de cosmiques — du destin des civilisations à l’emprise exercée sur elles par les Intelligences artificielles —, mais ce qui frappe ici, c’est l’importance donnée au couple, à la famille et à la transmission. Dans chacun de ces textes, on a affaire à une participante potentielle au Ballet, dont le soupirant/amant/époux devra renoncer à son destin par amour pour elle (Isadora/Alex Gordon, Shalakan/Dalmo, Hamille/Jason Bettelhine), mais aussi à un père marqué par le destin de sa fille ou de son fils (Hai Dhiju et Susan dans La Marche funèbre… ; Hurr’poh et Ch’tpok dans Les Fils enchevêtrés… ; Hans et Jason Bettelhine dans « Les Lames qui sculptent les marionnettes »), mais plutôt que de fiction noire, il conviendrait mieux de parler de tragédie grecque. Ou, en d’autres termes, et pour citer Andrea Cort dans La Troisième Griffe de Dieu : « Toute cette histoire serait juste une affaire de famille ? »

Et gardons-nous d’oublier l’évolution, ou plutôt l’ordalie de ladite Andrea Cort, la principale héroïne de cette saga, qui l’amène à remettre en question ses origines — et peut-être son essence même. Et n’allons pas imaginer que l’accomplissement d’un dessein dynastique débouche forcément sur des lendemains qui chantent — voir, dans La Guerre des marionnettes, les extrémités auxquelles recourent Jason et Jelaine Bettelhine, pourtant animés par les meilleures intentions du monde, et ce qu’il advient de la famille Thane et de leur monstrueux rejeton.

Pour qui a déjà lu les trois volumes parus chez « Albin Michel Imaginaire », ces deux ajouts pourraient paraître accessoires, voire superflus. Il n’en est rien. Si La Guerre des marionnettes se conclut de façon noirissime, il n’en est pas moins vrai que ses protagonistes ont oublié certains détails qui, avec le recul, permettent peut-être de garder quelque espoir. Par exemple, quid de Dalmo et de la dernière scène des Fils enchevêtrés… ?

 

 

Jean-Daniel BRÈQUE

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