Etrange destin que celui de ce bouquin atypique. Publié en 1977 sous une forme inhabituelle (un grand format, style beau livre, somptueusement illustré par Ian Pollock, traduit par votre serviteur pour Denoël, en 1979) pour inaugurer une nouvelle collection qui ne dépassera pas trois titres, frais de fabrication obligent, Brothers of the Head / La Mauvaise Tête, devait sommeiller, quasi oublié, durant près de trente ans, jusqu’à ce que… mais on y reviendra.
Il faut d’abord dire que cette histoire fort cronenbourgeoise (pour le réalisateur canadien, pas la bière alsacienne), outre sa forme dérangeante (encore renforcée par le style graphique de l’illustrateur, ambiance Ronald Searle, revu par Gerald Scarfe…), se situait quelque peu à l’écart des canons de la SF ordinaire.
Qu’on en juge : le livre se veut le récit documenté (succession de fiches, interviews, témoignages, articles et documents divers, y compris les textes de chansons fournis en annexe) de la carrière aussi scandaleuse qu’improbable de deux frères siamois natifs d’un cap rocheux paumé, situé sur la côte du Norfolk (d’où le titre — avec un jeu de mots intraduisible, « Head » étant entendu ici comme tête, mais aussi comme cap, promontoire), frères siamois qui plus est affligés d’une troisième excroissance en forme d’ébauche de tête supplémentaire (qui tient à avoir son mot à dire — tel l’ineffable Zappy Bibicy du Guide du voyageur galactique –, d’où le titre VF).
Deux frères siamois qu’un producteur malin et roublard va propulser dans le top 50 des rock-stars glam punk décadentes (on est en 1977 ! Ziggy Stardust a enfanté les Stranglers), tels deux (trois ?) Elephant Men qui, aujourd’hui, feraient intensément songer, prémonition, aux tristement célèbres (pour leurs frasques) frères Gallagher d’Oasis. Evidemment, tout cela va très mal finir…
Dans l’intervalle, on aura eu droit à un récit éclectique, éclaté, décalé, et d’une intense puissance poétique (quelque peu lovecraftienne ou stephenkinguesque), brumes côtières obligent… (les cultivés convoqueront Mlle Brontë et ses Hauts de Hurlevent).
Détail intéressant (et éclairant), Brian Aldiss a révélé, lors d’une interview ultérieure, que cette histoire passablement tordue était née de la crise que son couple traversait à l’époque, conjuguée à la narration d’un cauchemar vécu par sa fille, dont il avoue (point crucial et douloureux) qu’elle n’avait pas été vraiment désirée…
Sans doute est-ce là la raison pour laquelle les réalisateurs Keith Fulton et Louis Pepe décidèrent, près de trente ans plus tard (précisément, en 2005), de ressusciter le texte en le portant à l’écran sous la forme d’un faux documentaire techno-trash (sur le modèle du Projet Blair Witch en 1999, d’Incident at Loch Ness de Werner Herzog, sorti en 2004, sans oublier, bien sûr, plus récemment, Cloverfield), docu romancé que l’affiche présente comme situé « à la croisée de Cronenberg et Spike Jonze ».
Le livre (en VO comme en VF) étant désormais quasiment introuvable — ou alors à des prix indécents —, on pourra donc satisfaire sa curiosité avec le DVD (dispo, lui, du moins en VO), même si l’esthétique du film est bien plus radicale que celle du livre (dont la forme pouvait évoquer quelque conte macabre mais intensément poétique, tel un Petit Prince sous amphés…).
Si l’on a la chance de tomber sur les deux, l’un et l’autre se complètent admirablement.