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Les critiques de Bifrost

La mère des mondes

Isaac ASIMOV
DENOËL
181pp - 6,50 €

Critique parue en avril 2012 dans Bifrost n° 66

[Critique commune à Dangereuse Callisto, Noël sur Ganymède, Chrono-minets et La Mère des mondes.]

The Early Asimov est un recueil des œuvres de jeunesse d’Isaac Asimov coupé en quatre volumes pour l’édition française : Dangereuse Callisto, Noël sur Ganymède, Chrono-minets et La mère des mondes (comme quoi Pygmalion n’a rien inventé en saucissonnant Robin Hobb et George R. R. Martin). Vingt-six nouvelles au total couvrant la période 1939 - 1950 (hors les cycles des Robots et Fondation, naturellement), à l’époque publiées dans les pulps américains : Astounding Science-fiction, Astonishing, Future Fiction, etc. Œuvres de jeunesse donc, et c’est sûrement là la limite de ce quadruple recueil. La plupart nous semblent aujourd’hui surannées, parfois mal écrites (en tout cas pour les premières), souvent naïves et plutôt stéréotypées. Alors, quel est l’intérêt de ces recueils ? D’abord, ils raviront les fans absolus de l’auteur en leur offrant des textes issus des magazines pulps et donc restés longtemps inaccessibles. Et même si certaines de ces nouvelles sont plutôt faibles, ces quatre volumes sont une bonne introduction à l’œuvre. La lecture en est rapide, facile et pour être tout à fait juste, peu coûteuse en énergie neuronale ! Ensuite, parce qu’on y voit l’évolution de l’écriture d’Asimov. Chaque nouvelle est suivie d’un texte court du maître himself expliquant la genèse de la nouvelle dans sa création, son parcours de publication et la montée progressive de la renommée de l’auteur qui deviendra, avec Robert Heinlein et Arthur C. Clarke, l’un des « trois grands » de l’âge d’or de la SF mondiale. L’animal a beau être un monstre de vanité et d’orgueil, il n’en reste pas moins objectif quant à la construction progressive de ses créations littéraires. Il tâtonne, il apprend, il progresse, notamment en se frottant aux conseils et recadrages de John W. Campbell, mythique rédacteur en chef d’Astounding, à qui il doit beaucoup. Il est même touchant quand on lui préfère un Heinlein ou un Simak, reconnaissant volontiers la qualité supérieure de leurs œuvres de l’époque. Mais le bougre est pugnace, il ne lâche rien et poursuit avec détermination son rêve d’écriture, aidé dans cette tâche par une très haute opinion de lui-même et une capacité de travail phénoménale, d’aucuns diraient extraterrestre tellement la production de l’auteur sera faramineuse. Asimov excelle dans cet exercice autocentré où il parle de lui et de son œuvre. Toujours immodeste mais conscient de cette « qualité », il nous donne à voir souvent avec humour une photographie du monde de l’édition US de science-fiction. Précieuse contribution que l’on retrouvera dans son autobiographie, Moi, Asimov (Folio « SF »).

A noter que les nouvelles « Homo Sol » (in Dangereuse Callisto) et « Une donnée imaginaire » (in Noël sur Ganymède) préfigurent le concept de psychohistoire, psychologie comme science mathématique et moteur de l’intrigue du cycle de « Fondation ». Egalement au sommaire de ce recueil, deux nouvelles écrites en collaboration avec Frederik Pohl, sous le pseudonyme de James McCreigh, ces deux-là partageant le même humour : « Le Petit bonhomme du métro » (in Noël sur Ganymède) et « Bon sang ne saurait mentir » (in Chrono-minets). Dans la première, un homme qui se prend pour Dieu recrute dans le métro des adeptes qui vont finalement se créer un nouveau Dieu pour le destituer. Dans la seconde, des fantômes revendiquent auprès d’un tribunal leur droit à hanter librement une maison ! Deux textes plutôt drôles. Pour le reste, difficile de juger réellement du contenu, certains seront amusés par les intrigues décalées, voire loufoques, du maître (menace de grève extraterrestre si le Père Noël ne descend pas du ciel pour apporter des cadeaux !), d’autres seront vite horripilés par tant de légèreté. Certains seront sensibles à l’imagination débridée du créateur des Robots, quand d’autres se lamenteront du peu d’humanité et d’émotion de ses personnages. En tout cas, le maître ne laisse pas insensible, et ce Early Asimov plutôt riche comblera les admirateurs et offrira aux autres, au choix, une sympathique entrée en matière pour valider l’axiome « Asimov est grand », ou l’occasion de compléter leur bibliothèque des œuvres d’un petit bonhomme toujours incontournable dans le monde de la SF. On vous laisse juger.

Hervé LE ROUX

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