On plonge très aisément dans ce roman de premier contact situé dans un futur dystopique et incertain au large du Vietnam, dans l’archipel privatisé de Côn Đảo. Après une courte introduction, nous y observons l’arrivée de Ha Nguyen, une biologiste spécialiste des céphalopodes, récemment recrutée par Dianima, la mégacorporation qui possède les lieux. Sur place, afin de résoudre l’énigme des habitants non-humains de ces lieux, Ha sera épaulée d’Evrim, androïde en exil, et d’une responsable de la sécurité, Altantsetseg, aussi efficace que mutique.
Sans trop en dire, d’autres récits aux enjeux brutaux convergent vers cet écosystème protégé, scruté et envié — que ce soit pour sa réserve de ressource rare (le poisson) ou des enjeux géopolitiques (qui traversent d’ailleurs l’histoire réelle de ces lieux).
Les chapitres insulaires, maritimes et continentaux s’entrecoupent d’extraits des ouvrages des deux scientifiques du roman : les docteures Ha Nguyen et Mínervudóttir-Chan, son employeuse et créatrice d’Evrim… également à l’origine de Dianima. Ceci permet de nous transmettre habilement des informations sur leurs courants de pensée et de recherche, mais aussi les enjeux plus personnels de chacun des individus échoués dans cet archipel mis sous cloche : quelles obsessions et traumas les animent, en quoi ceux-ci sont freins ou moteurs ? Sans oublier la grande question : l’archipel abrite-t-il une espèce intelligente et douée de communication ? Et son premier corollaire : à quoi pourrait ressembler la rencontre avec une autre espèce ayant développé une culture communicante ? Le second est plus inquiétant : cette espèce souhaite-t-elle communiquer avec nous ?
Composé comme un puzzle à la progression narrative linéaire pour mieux nous embarquer, ce roman propose un futur proche du cyberpunk ou de la fiction climatique. C’est aussi (surtout ?) un roman de premier contact — un contact qui tarderait presque à se faire, ce qui peut se révéler frustrant au dénouement. Cependant, au-delà de la question inter-espèces, La Montagne dans la mer fait preuve d’une réflexion fine, au travers de ses personnages, de leurs échanges, de leurs obsessions, sur la communication humaine. Sur les biais qu’elle subit ou crée, ses capacités, son efficacité ou ses échecs, son entrecroisement subtil avec la psychologie des personnages. Un entretien avec l’auteur en fin d’ouvrage vient d’ailleurs éclairer cette intuition.
Un seul bémol sur la traduction par ailleurs fluide : le choix de genrer au masculin l’androïde Evrim, là où la version anglophone utilise un pronom neutre (they) et où la docteure Ha s’interroge, dès leur rencontre, sur la propre binarité de sa pensée pour cet être qui transcende par son existence les notions de genre. À mettre en regard avec le paragraphe précédent, on trouverait presque cela ironique, cette illustration des limites du langage et de nos perceptions.
Pour conclure, ce premier roman de Ray Nayler est un texte d’une grande efficacité. Un roman que l’on peut lire d’une traite avec une joie certaine, et qui suscite aussi la curiosité d’aller lire — si ce n’était pas déjà fait — Protectorats, son recueil de nouvelles paru l’an passé salué par le Grand Prix de l’Imaginaire !