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Les critiques de Bifrost

La Mort de l'auteur

Nnedi OKORAFOR
ROBERT LAFFONT
462pp - 22,00 €

Critique parue en juillet 2025 dans Bifrost n° 119

Si Nnedi Okorafor est une autrice prolixe et multi récompensée, il est difficile de mentionner son nom sans évoquer Qui a peur de la mort ? et la façon dont il a durablement inscrit son nom dans le paysage de l’Imaginaire. Ce roman, un de ses premiers textes, recelait les contours d’un diamant brut qui ne demandait qu’à être poli par l’expérience. Un style âpre, rafraîchissant et irrévérencieux marquait déjà la patte de cette talentueuse écrivaine, qui semblait sculpter à coup de mots un élan vital presque primal tant il assumait sa beauté comme sa violence. Et, supplément d’âme précieux, Nnedi Okorafor embrasse pleinement, dans ses textes, ses origines nigérianes comme les légendes et le folklore africains. Où allait-on la retrouver, cette fois ?
La Mort de l’auteur… Voilà un titre intriguant, idéal pour un roman qui se dérobe d’abord à son lecteur tel un animal qu’on peine à apprivoiser. S’agit-il d’un écrit biographique ou fictionnel ? S’agit-il de science-fiction ? Il faut en effet patiemment dérouler le fil rouge du récit de Zelu pour comprendre — très tard — où l’autrice a voulu nous entraîner. C’est peut-être là le plus difficile : suivre le parcours chaotique de cette autrice nigériano-américaine qui, depuis l’accident qui a causé sa paraplégie dans l’enfance, jusqu’à la publication du roman qui l’a conduite sur les cimes du succès, s’efforce dans la douleur de concilier toutes les facettes de son existence. Suivre Zelu, c’est parfois perdre patience face à son tempérament de tête brûlée et se demander si Nnedi Okorafor a réellement eu l’audace d’éventer son destin.
Mais là est le génie, là réside le pari un peu fou de ce roman. Être patient avec Zelu, c’est réaliser à ses côtés que son propre récit ne lui a jamais réellement appartenu, qu’il réside entre les mains de celles et ceux qui la racontent, qu’ils la connaissent ou non. Son portrait se nuance peu à peu au détour des attentes, des anecdotes, des souvenirs, des reproches, des interactions et des événements : la vie de l’auteur analysée, décortiquée, disséquée, puis reconstituée. Pourquoi ? Pour comprendre son histoire et, en comprenant mieux l’histoire, mieux cerner son auteur. Pourquoi Zelu a-t-elle écrit de la science-fiction alors qu’elle n’était pas particulièrement adepte du genre ? Parce que cela l’a conduite à certains choix qui ont considérablement infléchi le cours de sa vie ? La Mort de l’auteur est cet échange, ce dialogue, cet aller-retour permanent : « la création est un fleuve qui coule dans les deux sens ». Et citer l’auteur ne revient pourtant ici qu’à dévoiler un fragment seulement de ce que le roman cherche à réaliser : célébrer les conteurs du monde entier et leurs histoires qui ne cessent de s’entremêler et de se répondre, comme des échos aux quatre coins du monde, à travers les époques. Des histoires vivant dans des histoires, longtemps après la mort de l’auteur.

 

Camille VINAU

 

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