L’Arbre Vengeur, un éditeur qui exhume. Cette fois, il s’agit d’un roman français d’anticipation datant de 1931, peu ou prou la seule œuvre littéraire d’un auteur, Serge Simon Held, dont on ne sait rien, si ce n’est qu’il était ingénieur. La Mort du fer n’était pas passé inaperçu à l’époque : le roman a échoué au Goncourt, mais a eu droit à une traduction anglaise en pulp. Reste qu’on l’avait essentiellement oublié jusqu’à cette réédition presque un siècle plus tard.
Dans ce roman, le fer, matériau vital à la civilisation, succombe à une sorte de maladie, dite sidérose ou « mal bleu », qui en affaiblit les propriétés jusqu’à le rendre inutilisable. L’origine de cette maladie minérale tient peut-être à une contamination d’origine extraterrestre. Qu’importe, ça n’est pas vraiment le propos — la maladie du fer ici n’est finalement pas mieux expliquée que la disparition de l’électricité dans Ravage de Barjavel une décennie plus tard.
Et, en fait de roman, La Mort du fer, d’un style inégal et à la structure un tantinet déséquilibrée, alternant les tableaux détachés et « objectifs », vus de loin, et les séquences à hauteur de personnages, témoins du cataclysme, ne fait pas davantage preuve d’application quand il s’agit de camper ces derniers. Le suspect n° 1, l’ingénieur juif et russe et donc communiste (ou anarchiste) Sélévine, est en définitive celui qui s’en sort le mieux — personnage complexe, aux multiples facettes. Le reste est unilatéral, comme un corollaire de la plume de l’auteur, lourde d’amertume et de dégoût (au point parfois de l’épuisement) : les collègues de Sélévine, comme le répugnant Leclair, son employeur et les autres capitaines d’industrie du Nord, leurs familles bourgeoises jusqu’au service à thé, leurs cercles « culturels », constituent un microcosme caractérisé par l’égoïsme à courte vue ; mais il en va de même des subordonnés, la tourbe des ouvriers tous fainéants et ivrognes, les hommes agitateurs hypocrites et barbares, les femmes perverses et manipulatrices — et il y a bientôt pire encore, surtout aux yeux d’un Leclair (à distinguer de l’auteur, supposons-le…), les « sans-travail » toujours plus nombreux, toujours plus violents, et les migrants qui débarquent par trains entiers… À maints égards, dans les qualificatifs parfois outranciers comme dans les obsessions, c’est bien un roman de 1931 — il n’en est que plus terrifiant de constater à quel point il serait aisé de reporter ce discours nauséeux sur la France de 2020. Bon, peut-être pas la description des soldats noirs déployés pour leur sauvagerie caractéristique, espérons-le… Mais la société « dévirilisée », on n’en a semble-t-il pas fini avec, hélas — et de même pour les échos technophobes que le sujet suscite presque naturellement.
Ce qui intéresse S.S. Held, c’est bien l’impact de cette maladie hors-normes sur la civilisation humaine, et l’effondrement de cette dernière — qui s’est bâtie sur le fer, et en dépend absolument, plus que jamais en cet âge d’or de l’industrie, véritable règne de la machine ; et ici La Mort du fer se pare à nouveau d’arguments moraux, ou politiques, dépeignant avec une morbidité vengeresse l’homme ignoblement asservi à ses créations artificielles, et qui en fait tout naturellement les frais. Ce qui est somme toute assez commun, et il en va de même pour la conclusion « spiritualiste », via Sélévine, qui tourne l’apocalypse au sens vulgaire en apocalypse au sens religieux — retournement qui, comme d’habitude, ne parlera qu’aux convaincus.
Demeurent les tableaux de la catastrophe en cours — vue de loin, sur le mode de la chronique historique ou journalistique. Ici, La Mort du fer ne manque pas d’images fortes, et qui nouent les tripes. S.S. Held y fait régulièrement montre d’une lucidité inquiétante — et c’est quand ces tableaux sont les plus froids qu’ils sont les plus efficaces : quand l’auteur juge, l’impact s’effondre, comme une tour arrogante succombant au mal bleu…
La sombre puissance des plus cauchemardesques de ces tableaux suffit peut-être à justifier qu’on y jette un œil. Sans doute, même. Pour autant, on ne qualifiera pas cette exhumation d’indispensable ou a fortiori de salutaire : La Mort du fer est une curiosité pas inintéressante, mais bien lourde souvent, et, au fond, qu’on l’ait si longtemps oubliée n’a rien de scandaleux.