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Les critiques de Bifrost

La Mort immortelle

Cixin LIU
ACTES SUD
816pp - 26,00 €

Critique parue en janvier 2019 dans Bifrost n° 93

Publié en Chine en 2010, traduit en anglais par Ken Liu sous le titre Death’s End en 2016 (qui est la version lue pour cette critique – précision de taille, puisque nous n’avons pas ici jeté le moindre regard sur la VF), le roman de Cixin Liu devient La Mort immortelle chez Actes Sud et conclut la trilogie des « Trois Corps », après Le Problème à trois corps (2016) et La Forêt sombre (2017). Le moins qu’on puisse dire est qu’il est conclusif, et on peut affirmer avec certitude qu’il n’y aura pas de suite. Il conclut non seulement la trilogie, mais aussi tous les livres. Liu offre un roman de hard SF d’une très rare ampleur qui, avec ses qualités et ses défauts, constitue à mon avis le meilleur opus de la trilogie. Foncièrement pessimiste, la trilogie des «  Trois Corps » peut être lue comme un exercice de déconstruction de la civilisation et des espoirs qu’elle porte. Avec le cynisme de ceux qui aiment trop la vie pour soutenir l’humanité, Liu écrit sa démonstration depuis les années 60, jusqu’à la mort thermique de l’univers. Cela prend du temps, 2000 pages pour les trois tomes.

Dans Le Problème à trois corps, l’auteur plaçait l’humanité face à elle-même, ce qui se termine souvent mal. Ye Wenjie, astrophysicienne légèrement échaudée par la révolution culturelle, livrait la Terre aux Trisolariens, une race extraterrestre qui a des soucis domestiques d’ordre cosmologique. Dans La Forêt sombre, l’humanité se trouvait ainsi confrontée à l’arrivée imminente – 400 ans — d’extraterrestres hostiles et technologiquement supérieurs, ce qui se termine souvent mal. Une solution fut trouvée par Luo Ji, un des quatre sauveurs désignés par l’humanité, sous une variante de la guerre froide imposée par la promesse d’une annihilation commune. Liu y inventait le concept élégant de forêt sombre : pour survivre dans l’univers, il faut vivre caché. Dans La Mort immortelle, donc, l’humanité se trouve confrontée à l’univers tout entier, ce qui se termine souvent mal. Cheng Xin est désignée pour prendre la suite de Luo Ji et préserver la paix. Trop idéaliste, elle ne sera jamais capable de le faire, quelles que soient les opportunités qui lui seront données, précipitant l’humanité vers un destin funeste. Cixin Liu invite cette dernière à se réinventer, à dépasser ses préconceptions de l’univers et sa place dans celui-ci. Mais l’humanité en est-elle capable ? Liu explore les systèmes sociétaux, politiques, religieux, moraux, et les abat un à un. On ne saurait identifier chez l’auteur un positionnement politique ou philosophique, si ce n’est peut-être un nihilisme radical. Son avis est sans appel : nos agitations morales ou intellectuelles sont vaines. Liu se projette dans l’espace et le temps. On pense aux « Xeelee » de Stephen Baxter ou à Tau Zero de Poul Anderson, pour l’énormité des propositions, mais Liu va plus loin encore.

La Mort immortelle a ses défauts : sa longueur, la faiblesse des personnages. Cheng Xin ne s’élève jamais à la hauteur du policier Shi Quiang dans Le Problème à trois corps, ou de Luo Ji dans La Forêt sombre. À toujours faire les mauvais choix, elle agace, même si c’est là sa raison d’être. Roman de hard SF, on pourrait aussi lui reprocher de jouer avec les lois de la physique, mais tellement moins que nombre d’autres romans et tellement mieux. Rien ne saurait pour autant faire oublier son ampleur phénoménale. En repoussant les limites de la démesure par une imagination hors norme, La Mort immortelle est un livre comme vous n’en avez jamais lu. Il faut le lire.

FEYD RAUTHA

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