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Les critiques de Bifrost

La Musique de la chair

Daniel WALTHER
BLACK COAT PRESS
20,00 €

Bifrost n° 62

Critique parue en avril 2011 dans Bifrost n° 62

Depuis la publication de son premier texte professionnel dans Fiction en 1965, Daniel Walther a publié plus de deux cents nouvelles et une douzaine de romans. L’une d’entre elles, « Les 1000 millions de chevaux de la planète Dada », a été retenue par Harlan Ellison en 1973 pour l’anthologie Last Dangerous Visions (qui ne vit malheureusement jamais le jour). La trilogie du « Livre de Swa », une de ses rares incursions dans le domaine de la fantasy, a donné lieu à une traduction en anglais (chez Daw Books) par C. J. Cherryh. Il a eu par deux fois le grand prix de la S-F française, la première pour son anthologie culte Les Soleils noirs d’Arcadie (Opta - 1975), et la seconde pour son superbe roman L’Epouvante (J’ai Lu - 1979). Une grande partie de ses nouvelles a été réunie en recueils, comme les incontournables L’Hôpital et autres fables cliniques (Néo), Sept femmes de mes autres vies (Denoël) ou Les Rapiéceurs de néant (Alfil). Bref, une œuvre conséquente, originale et forte, mais qui a rarement eu l’écho qu’elle mérite. Il faut dire que Daniel Walther fait partie de ces auteurs hors normes qui ne se rattachent à aucun courant précis et qui flirtent indifféremment avec le fantastique, la science-fiction, la fantasy, faisant preuve d’un ton très personnel qui rend certains lecteurs accros et d’autres allergiques : sensualité, érotisme torride, parfois très cru, scènes provocantes, lyrisme échevelé, surréalisme, symbolisme, masochisme rédempteur, dé-rives lysergiques.

Le space opera de Daniel Walther, objet de ce recueil, rappelle étrangement (en plus audacieux, certes) par son ambiance poétique et sensuelle, parfois baroque, celui de certaines auteures fondatrices du genre, comme Leigh Brackett, Catherine Moore ou Nathalie Henneberg. La première série de nouvelles, intitulée « Finito », pourrait par ailleurs faire figure de court roman tant les textes se complètent les uns les autres et s’articulent selon une progression dramatique quasi chronologique. Elle met en scène Betali Svöön, musicien célèbre vivant au XXIIe siècle, qui décide sur le tard de devenir chirurgien. Une « activité » qu’il considère comme un art, lui permettant de créer « la musique de la chair ». Betali Svöön est également un aventurier qui n’hésite pas à affronter les pièges de planètes inconnues et les délires des despotes qui y règnent, mais le pire des dangers naît le plus souvent de sa fougue et de son désir. Betali Svöön aime les femmes et ne peut résister aux charmes de celles qui, telles les prêtresses pourpres de Leigh Brackett ou les Shambleau de Catherine Moore, ensorcèlent leur proies avant de les écarteler entre rêves et cauchemars. La seconde série de nouvelles, « Autres vies et petites morts de Grant Wyrs », est plus débridée et témoigne de la dette de Daniel Walther envers la new wave anglo-américaine des sixties, Harlan Ellison en tête. L’influence de ce dernier s’exprime d’ailleurs chez Walther depuis le début de sa carrière. En témoignent des titres comme « Où guette un sphinx aux ailes en pétales d’angoisse », « Par le venin de cent mille soleil », ou « Une chasse à l’Ugu-Dugu dans les marais de Kwân », qui sont déjà, à eux seuls, un hommage à l’auteur de « “Repens-toi, Arlequin !” dit monsieur tic-tac » et « La Bête qui criait amour au cœur du monde ».

La troisième et dernière série de textes, la plus brève, celle des « Chasseurs du temps » est une petite merveille. Daniel Walther se concentre sur la substance poétique de son œuvre et élabore une suite de vingt-et-un courts tableaux, admirablement ciselés, desquels rayonne miraculeusement une gigantesque épopée.

Pour les accros à l’univers de Daniel Walther, cette compilation est indispensable, quant aux autres, l’enivrante musique de la chair parviendra peut-être à les charmer.

Jacques BARBÉRI

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