Eilish et Erin sont deux musiciennes virtuoses. Eilish vit au XVIIIe siècle, dans les bas-fonds londoniens ; c'est une traîne-misère qui gagne sa vie en jouant des verres (soit en effleurant des soucoupes produisant des notes cristallines), jusqu'à ce qu'un coup de pouce du destin la propulse chez Benjamin Franklin. L'inventeur est à la recherche de talents capables de sublimer sa dernière trouvaille, l'armonica (sans h) de verre. De son côté, Erin vit à Seattle, en 2018, dans une atmosphère d'aseptisation nostalgique ; c'est une star de l'harmonica qui a la plus grande difficulté à concilier carrière et vie privée, ayant notamment à gérer la maladie neurologique dont souffre Charlie, son génial compositeur de frère.
L'intrigue se poursuit, aussi bien en 1792 qu'en 2018, par plages d'un ou deux chapitres. Les histoires d'Eilish et d'Erin s'enchevêtrent, les personnages du passé répondant de façon troublante à ceux du futur, dans une sorte de quête de l'accord parfait — musicothérapie du corps et des âmes.
Et le sense of wonder là-dedans ? Il repose dans ce fabuleux instrument, cet harmonica de verre dont on tente en vain d'imaginer la sonorité durant la lecture, qui relie les deux héroïnes à travers les siècles par apparitions interposées. Lien que l'auteur a voulu symbolique et métaphysique, lien qui apparaît en réalité bien artificiel, tant l'effort pour rattacher une partie du roman à la S-F est visible, par l'évocation convenue du proche avenir et les hypothétiques « connexions quantiques de l'espace-temps » qui justifient cahin-caha les intrigues parallèles — prétextes narratifs sans véritable intérêt mais qui, heureusement, ne nuisent pas au thème central illuminant le roman, à savoir la musique.
La passion, le savoir de Louise Marley (ancienne chanteuse d'opéra) en la matière est évidemment palpable. Le cœur du récit est ici, dans cette fascination pour la musique, dans le sentiment ineffable qu'elle procure.
Autant l'avouer : malgré d'indéniables qualités, ce roman ne convainc pas. Les sautes de rythme, le délayage de l'action, la mièvrerie généralisée atténuent l'émotion que, par ailleurs, il est censé provoquer. Cet humanisme bon ton, toutes ces longueurs, ces langueurs, ces froufrous de robes, ces maladroites envolées lyriques conviendront peut-être aux lecteurs sensibles. Peut-être… Quant aux autres, amateurs de S-F virile et sanguine, passez votre chemin.