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              MNÉMOS
               336pp                -                22,00 €             
Critique parue en juillet 2025 dans Bifrost n° 119
Parue une première fois en 1985, La Musique du sang occupe une place particulière dans l’œuvre de Greg Bear. D’une part, sa thématique annonce celle du diptyque « L’Échelle de Darwin » (qui imagine aussi que la première intelligence étrangère que l’humanité rencontrera coule déjà dans ses veines, même si Bear s’appuie là, comme le roman Parasite Eve de Hideaki Sena, sur des restes d’ADN préhistorique), et d’autre part, elle dispute à Éon le fait d’être la première grande œuvre publiée de l’auteur, après une demi-douzaine de romans. En effet, le roman est paru en avril 1985 (là où il faudra attendre août 1985 pour Éon) et l’histoire se base sur une novellette, « Le Chant des leucocytes », publiée en 1983 et récompensée par un doublé Hugo / Nebula (en plus d’être au sommaire du présent Bifrost). Là où ses confrères se penchent sur l’informatique grand-public balbutiante pour inventer le cyberpunk, Greg Bear va se tourner vers la bio-ingénierie — quelques décennies avant la conceptualisation du transhumanisme. Et « Le Chant des leucocytes », puis La Musique du sang, deviennent ainsi les premiers exemples du biopunk aux côtés de La Schismatrice de Bruce Sterling et Xenogenesis d’Octavia E. Butler. Pourtant, c’est également une œuvre bancale : la première moitié est un thriller scientifique comme les années 1980 en ont produit en grande quantité, et la seconde montre les conséquences catastrophiques, mais avec des accents mystico-quantico-philosophiques et des digressions susceptibles de perdre qui s’y risque. Sans oublier un défaut récurrent des livres écrits par des hommes blancs durant cette période : une quasi-absence de femmes intéressantes à suivre et intervenant pour autre chose que leur rôle nourricier et/ou consolateur (1). Seule Suzy, décrite comme simple d’esprit, mais « belle à en séduire le diable », tranche un peu dans le lot, même si son histoire est assez déconnectée du reste et qu’elle ne sert qu’à montrer les conséquences pour celles et ceux qui refusent de danser sur la musique du titre.
Ces bémols soulignés et posés, La Musique du sang reste un très bon roman, encore novateur quarante ans après sa publication par bien des aspects. D’abord parce qu’il propose une variation biologique des thèmes chers au cyberpunk : jusqu’où aller au nom de la science ? Et que faire si nos créatures nous échappent et deviennent plus intelligentes et plus puissantes que nous ? De plus, en 2025, relire une histoire de pandémie et la réponse tentée par les différents pays a un côté ironique assez savoureux. Le livre se lit également avec grand plaisir, peut-être en raison du travail de toilettage effectué sur la traduction dans l’édition Mnémos. À ce sujet, on aurait apprécié avoir les quelques notes du traducteur (principalement l’explication d’acronymes) directement en bas de page plutôt que de devoir aller en toute dernière, puis retrouver la bonne page pour reprendre le cours de la lecture.
Stéphanie CHAPTAL
Note :
(1). Un travers absent de l'autre roman de l'auteur publié en 1985, le désormais classique Éon. [NdRC]