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Les critiques de Bifrost

La Nef des fous

La Nef des fous

Richard Paul RUSSO
LE BÉLIAL'
420pp - 22,00 €

Bifrost n° 42

Critique parue en mai 2006 dans Bifrost n° 42

Depuis des centaines d'années, l'immense vaisseau Argonos sillonne l'espace à la recherche de la Terre Promise, du moins c'est à ça que son errance ressemble. Deux cent soixante-quatorze ans après la Répudiation, épisode de peste meurtrière durant lequel furent perdues les archives informatiques, le vaisseau tombe sur un signal radio qui le guide jusqu'à une colonie humaine visiblement à l'abandon, une planète habitable que l'évêque de l'Argonos s'empresse de baptiser Antioche. Là, Bartolomeo Aguilera, le narrateur, et son équipe d'exploration se heurtent à l'insensé, insensé qui va bientôt rebondir vers un abyme plus renversant encore… et que je vous laisse découvrir par vous-même, tant l'attente est un des ressorts essentiels de ce volumineux roman.

La Nef des fous, qui évoque Rendez-vous avec Rama et le film de Ridley Scott Alien (cette référence-ci étant particulièrement assumée, y compris dans le vocabulaire utilisé par les protagonistes), se lit comme un thriller. À aucun moment la tension ne faiblit : le lecteur tourne les pages, que ce soit pour savoir ce qui s'est passé sur Antioche et ce que sous-entend cette découverte, ou, plus étonnant, pour savoir si Bartolomeo et Père Veronica finiront par donner corps à leur affection réciproque. Car voilà la force principale de cette Nef des fous : outre le suspens entourant les événements d'Antioche, admirablement mené, les personnages, leur complexité, leur rapport au réel, rendent le récit haletant. Bartolomeo, abandonné à sa naissance à cause de ses malformations, affublé d'un exosquelette, et Père Veronica, croyante régulièrement rongée par le doute, sont des protagonistes magnifiques, d'autant plus touchants que Russo ne se livre à aucune simplification du genre « voici les bons, voilà les méchants, devinez qui est le traître ». Chargé de dilemmes déchirants, de réflexions vertigineuses sur la foi, les sentiments et rituels religieux, ce roman ne déçoit pas ; même si certains esprits chagrins trouveront sa fin « un peu facile » et son style peu élaboré, Russo se contentant de raconter son épopée spatiale, ce qui le rapproche d'une certaine école anglaise, celle d'Arthur C. Clarke (Rendez-vous avec Rama, on y revient) et Stephen Baxter. Outre cette écriture sans panache, mais que je n'irai tout de même pas jusqu'à qualifier d'asimovienne, on regrettera quelques coquilles, parfois cocasses, mais rien qui ne puisse vraiment gâcher notre plaisir.

La Nef des fous fait partie de la grande tradition de la science-fiction mettant en scène des personnages du clergé confrontés à un premier contact extraterrestre, on est proche, très proche, d'Un cas de conscience de James Blish, proche aussi de l'épisode du prêtre dans Hypérion de Dan Simmons ; en ce qui me concerne, c'est du même niveau, pas moins. Une fois de plus, si vous aimez la science-fiction, la vraie, vous ne pouvez pas passer à côté de ce livre récompensé, à juste titre, par le Philip K. Dick Award 2001. Décidément, avec La Plage de verre de Iain M. Banks et Crépuscule d'acier de Charles Stross, ce début d'année 2006 est riche en aventures spatiales de haut niveau.

Thomas DAY

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