Un joli titre, une belle illustration de couverture, un pseudonyme énigmatique et accrocheur, un roman court comme on les aime. Voilà qui commence plutôt bien. Allez ! On se risque à survoler la quatrième de couverture, si si, c’est mal mais tant pis : Une épidémie a changé la plupart des êtres humains en (…) zombies (…) Antoine Verney est un survivant (…) protégé dans un immeuble (…) armé d’un fusil (…) il découvre qu’il peut tuer (…) s’inventer une nouvelle vie et ne pas sombrer dans la folie, etc. Aïe, aïe, double aïe ! Un nouveau livre de zombies, encore ! Et puis le thème du seul survivant sur terre, difficile de ne pas penser à Richard Matheson et son très grand Je suis une légende. Alors quoi ? Pas beaucoup d’alternatives. Soit l’auteur est narcissique et cinglé au point de dépasser ces quelques considérations, soit pour lui la question ne se pose même pas et il a des choses à nous raconter. Pour la première option, on ne s’avancera pas. En revanche, en ce qui concerne la seconde, on en est convaincu. Car oui, La Nuit a dévoré le monde est un texte passionnant, troublant, parfois dérangeant mais toujours captivant. En tout cas juste et honnête. Voyez plutôt…
Antoine est un écrivain de série B, voire Z, genre bouquins à l’eau de rose… Invité dans une de ces soirées parisiennes mondaines qu’il exècre, notre héros, après une cuite mémorable dans une pièce isolée de l’appartement, se réveille quelques heures plus tard, la tête dans le coin (oui, on peut le dire aussi). Dans le grand salon, plus d’invités, rien qu’une immense mare de sang. A l’extérieur, le monde s’est transformé et des hordes de zombies poursuivent les gens pour les dévorer. Rien ne peut les arrêter, l’humanité va être exterminée. La nuit a dévoré le monde. Seule issue pour Antoine, s’enfermer et tenter de survivre. Au travers de son journal intime, nous suivrons son combat mais aussi sa vision du monde, l’ancien, le nouveau et peut-être le futur.
Si l’aspect « zombiesque » du récit peine à surprendre en lui-même, le talent de conteur de Pit Agarmen fonctionne à plein régime — un régime nourri par une critique aussi aiguë qu’acerbe de notre société de consommation et qui évite le convenu. Un angle d’approche engagé, donc, mais supporté par un sens critique solide et étayé. Du pensé, voire du vécu. « C’est la fin du monde, ou plutôt du monde tel que nous le connaissions, tel que nous l’avions domestiqué et vaincu », « Finalement, la nature nous a éliminés à l’aide de versions monstrueuses de nous-mêmes. » En plus de cette approche « politique », l’auteur nous offre un personnage touchant, un anti héros paradoxal, empreint de certitudes mais malgré tout pétri de doute, habité par la nécessité de sa survie et parfois complètement insouciant, tantôt au plus profond du désespoir et de la solitude, tantôt porté par une euphorie frisant la folie. Un personnage complexe que Pit Agarmen a pris le temps de fouiller avant de nous le restituer. Mais finalement qui parle vraiment dans ce texte ? Quelqu’un a dit : « Toute écriture porte en elle quelque chose de l’ordre de l’intime, de la réalité vécue. C’est de la douleur. Une souffrance couchée sur le papier. » (Quizz : a. Václav Havel, b. Lénine, c. Mao, d. le chroniqueur qui n’a pas eu le temps de trouver une vraie citation pour étayer son propos). Bref, ici l’auteur se livre. Il s’expose et son texte transpire d’émotions. Techniquement, les chapitres sont courts, incisifs. L’écriture est ciselée, presque économe mais directe et exclusivement tendue vers le but recherché : dire et se dire. Mention spéciale pour la scène de contact entre le héros et un zombie : effroyable, sublime, tragique, poignante. Entre littérature « blanche » et littérature de genre, au-delà de tout clivage, Pit Agarmen livre ici un ouvrage puissant et tout à fait recommandable.
Et notre grand quizz : réponse d. Bravo ! Encore un militaire qui vient de gagner une tringle à rideaux !