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Les critiques de Bifrost

Critique parue en février 2000 dans Bifrost n° 17

Voici donc ce second tome de la saga arthurienne revisitée par Jean-Louis Fetjaine, qui s'impose comme le nouvel orfèvre de la matière de Bretagne. Et prend ici de la hauteur. À la quête du Crépuscule des elfes, qui nous contait les pérégrinations d'un groupe restreint, succède ce roman où le background politique revient au premier plan.

L'armée du roi Pellehun et du sénéchal Gorlois, duc de Tintagel, a écrasé les forces naines pourtant déterminées à reprendre aux hommes leur talisman, l'épée Excalibur. Vaincus, les nains décident de se retirer du monde en enfouissant leur dernière cité. Si la victoire revient aux hommes, et avec elle l'or des nains, Pellehun y perd toutefois son chef, tranché pour le plus grand bonheur d'un Gorlois qui se fait roi. Machiavélique avant l'heure, le cynique sénéchal abuse le moine Illtud, feignant sa conversion au christianisme. Le moine convainc la jeune et pieuse reine Ygraine d'épouser Gorlois dans le double intérêt du royaume et du Seigneur. L'évêque Badwin bâcle le mariage duquel naît Morgause. Les nobles n'apprécient guère ce qu'en termes modernes il faut bien appeler l'opportuniste coup d'état du duc de Tintagel ; en particulier Léo De Grand De Carmélide, frère d'Ygraine. Le tournoi qui accompagne la célébration sera l'occasion choisie par Gorlois pour tenter de se débarrasser de ses ennemis…

Dans le même temps, Uter erre dans la campagne en compagnie de Merlin qui le guide vers Avalon. Avalon la mythique, la magique île des fées où s'est réfugiée Lliane, reine des elfes, après avoir donné le jour à Morgane (une fille qu'elle a eu d'Uter) et de fait avoir été rejetée par les siens. Malade de jalousie, Llandon, le roi des elfes, livre une guère odieuse aux hommes et tue le père d'Uter. Ce dernier, à son retour d'Avalon, habité par l'esprit de Lliane, devient le Pendragon et prend la tête d'une armée d'hommes, d'elfes et même de nains. Après avoir pris Lodh, Uter s'introduit dans Tintagel où Ygraine vient d'égorger Gorlois. Elle sauve la mise à Uter et ils conçoivent Arthur…

Cette Nuit des elfes est de toute aussi haute tenue que le premier volume et l'on est désormais entré de plein pied dans la légende arthurienne. La chrétienté — envers laquelle Fetjaine est plutôt critique — a pris le devant de la scène. Si Gorlois est maléfique, ce n'est cependant pas lui qui étendra la nuit sur les elfes, bien que ce soit là son rêve, mais Llandon qui dispute Lliane à Uter, et Uter lui-même car tiraillé entre deux reines, celle des elfes et celle des hommes, Lliane et Ygraine. Toute la tragédie est là. Où le racisme haineux de Gorlois, le mécréant assoiffé de pouvoir, ni païen ni chrétien, avait fait l'unanimité contre lui, l'amour et la jalousie ont entraîné la fin du monde. Ce sont les amours d'Uter et de Lliane qui ont engendré la rupture paradigmatique entre le paganisme celtique et la chrétienté, et ils devront en supporter la culpabilité. La tragédie toujours, comme dans le premier tome, est le moteur du récit ; mais ici, elle a la saveur d'un péché initial ouvrant à la chrétienté.

Fetjaine traduit à merveille la tristesse et la souffrance de ce monde qui glisse vers l'oubli, semble en souffrir lui-même et induit une empathie certaine avec les nains et surtout les elfes. Le pire, c'est-à-dire le meilleur de son art, tient dans la destinée qui conduit à cette fin de monde, dans son travail sur les personnages : des simples hommes — ou elfes — sur qui pèse le sort du monde. Un fardeau bien trop lourd pour des mortels, qui les plonge dans la tragédie tout en leur ouvrant les portes de la légende, les faisant entrer dans le mythe. Alors qu'Uter et Lliane ne souhaitent qu'éviter, qu'interrompre ce changement, leurs actes contribuent à le précipiter. La fantasy de Fetjaine n'est pas qu'histoires d'épées, d'elfes et de runes ; elle tire sa force de la tragédie, de cette exaltation des sentiments les plus nobles qui animent les passions humaines. Passions qui se retournent en faiblesses pour conduire les protagonistes à leur perte… Remarquable.

Jean-Pierre LION

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