Les éditions Aux Forges de Vulcain, dirigées par le sémillant David Meulemans, ont un catalogue partagé entre la littérature générale et l’Imaginaire (citons Williams Morris et Edward Bellamy pour les classiques, Jonathan Carroll pour les modernes, et Alex Burrett et Charles Yu pour les auteurs récents). Rien d’étonnant donc à ce que, sur certains titres, les deux se rejoignent, comme Contretemps de Charles Marie, et La Nuit je vole de Michèle Astrud : un premier roman (publié de manière confidentielle en 2009) qui emprunte délibérément aux genres sans tomber dedans totalement, et un livre d’une auteure qui publie depuis une vingtaine d’années et saute ici à pieds joints dans une thématique genrée tout en utilisant le prisme de la blanche.
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Changement de registre avec La Nuit je vole, de Michèle Astrud. Ici, une femme fait des rêves au cours desquels elle vole… et se réveille au petit matin ailleurs que dans le lit où elle s’est couchée ! Et pas n’importe où : au sommet d’une falaise, sur le toit d’une église… Stupeur, incompréhension, au début tout le monde doute de la réalité de ces déplacements aériens nocturnes – à commencer par la protagoniste elle-même. Qui se demande bien évidemment si elle devient folle, avant de se résigner suite à plusieurs expériences similaires. Sauf qu’après avoir accepté l’inacceptable, il va lui falloir convaincre les autres… à moins qu’elle ne puisse carrément en tirer profit ? C’est un roman intimiste que celui-ci ; tout, en effet, est vu au travers des yeux de la narratrice – Michèle, bien entendu – qui, devant l’inconcevable, intériorise beaucoup. On est en pleine littérature blanche – vous savez, du genre de celle qui réserve parfois des moments de pure relaxation à mesure que vous tournez les pages en pensant à tout autre chose que ce que vous avez sous les yeux, parce que vous risqueriez sinon de bailler à vous éclater les maxillaires –, de la littérature blanche, donc, avec force questionnements, mais Astrud évite l’écueil du pénible, tout d’abord parce que l’intrigue, bien que ténue, évolue significativement. On n’ira pas jusqu’à dire qu’il y a une fin, ni que celle-ci soit totalement satisfaisante (le roman se terminant de manière un peu abrupte), mais Michèle, et son entourage avec elle, évolue. La voix de Michèle Astrud est également plaisante à entendre : toute en finesse, s’essayant régulièrement à des envolées poétiques, elle donne les clés de la compréhension de l’intimité d’une femme éprise de liberté, même si, parfois, elle croit trouver celle-ci dans des espaces qui se révèlent in fine autant de carcans. L’Imaginaire n’est ici qu’un artifice narratif, mais il a le mérite d’être tangible et de montrer qu’il imprègne désormais une frange toujours plus importante de la littérature du XXIe siècle.
Au final, ces deux romans, disparates dans la forme et le fond, se rejoignent dans leur volonté de rendre perméables les frontières entre Imaginaire et littérature blanche. Ce qui, en somme, correspond bien à l’ADN des Forges de Vulcain.