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Les critiques de Bifrost

La Nuit ravagée

Jean-Baptiste DEL AMO
GALLIMARD
460pp - 23,00 €

Critique parue en juillet 2025 dans Bifrost n° 119

Milieu des années 90. Printemps. Dans la commune (fictive) de Saint-Auch, en périphérie de Toulouse, cinq amis, quatre garçons, une fille, tous autour des seize ans, tuent l’ennui d’une adolescence qui n’en finit pas à grand renfort de cinoches dans la galerie commerciale Beau Soleil, de films d’horreur VHS — Shining, Massacre à la tronçonneuse, Evil Dead, Braindead, Halloween, Les Griffes de la nuit, Evil Dead, Cannibal Holocaust, The Thing, Videodrome, Vendredi 13, Candyman, La Mouche… — vus chez les uns ou les autres, et de soirées à fumer des pétards dans des serres désaffectées qu’un gardien compatissant les laisse utiliser comme QG. Ils ont des scooteurs et des Chappy, vadrouillent çà et là. Il a les premiers émois. Les découvertes. Il y a le lycée Melville, ses petites gloires et ses grands déboires, une jungle hiérarchisée où prédateurs et proies se côtoient sous les yeux d’adultes plus ou moins désabusés, plus ou moins investis, plus ou moins dépassés. Dans ces banlieues aussi dortoirs que moroses, les parents font comme ils peuvent — mal, le plus souvent. Et nos cinq amis essuient les plâtres de familles d’une grise banalité dysfonctionnelle, entre cancer, alcoolisme, intégration mal digérée, tromperies et violences ordinaires. Et puis il y a la rue des Ormes, et sa vilaine maison tout au fond, tapie comme un crapaud dans  le champ qui lui tient lieu de jardin, volets clos, inhabitée depuis plus de quinze ans, et dont on dit qu’elle a connu le pire des drames… Il en sourd des remugles aussi magnétiques que malsains. Et bientôt le voisin, celui qui portait tout le temps des tee-shirts aux effigies de groupes de hard rock, à qui ils ne parlaient pas vraiment mais que tous connaissaient, est retrouvé les bras épluchés comme des bananes, vidé de son sang, suicidé dans sa chambre, une chambre dont la porte semble avoir été défoncée depuis l’extérieur… Et l’été qui approche, et les premières chaleurs, et cette certitude moite et lourde comme une paire de seins (dirait Catherine Dufour) : tout ça va méchamment dérailler.

Vous rêviez d’un pur roman fantastique d’horreur sous la célèbre couverture crème des éditions Gallimard ? Jean-Baptiste Del Amo, auréolé de son prix Goncourt du premier roman (pour Une éducation libertine) et son prix du Livre Inter (pour Règne animal) l’a fait. En mettant ses pas dans le Ça de Stephen King  (qu’il cite abondamment) et beaucoup d’autres, à commencer par le Nuit d’été de Dan Simmons ; on pense aussi, bien sûr, à L’Inversion de Polyphème de Serge Lehman. D’abord et avant tout. Mais sans oublier Barker, Koontz, Straub et Masterton, qu’il confie avoir énormément lu dans une postface aux allures de coda pour le non initié. Sans jamais oublier, comme King le lui a appris, que l’Imaginaire en général, et ici, spécifiquement, l’horreur, sont de merveilleux outils pour scruter une époque, en disséquer les travers, les errements, et aborder, au-delà du moment, ces pivots ontologiques qui nous constituent tous : l’amour, ses formes diverses et ses traumas, la mort, la fin de l’innocence et l’ouverture à cette conscience du temps qui passe qu’on appelle l’entrée dans l’âge adulte.

« Écrire un roman d’horreur demande une foi absolue dans la fiction », nous dit Del Amo dans cette postface. Nul doute que c’est ce qu’il a fait ici, un acte de foi. Et si son livre n’est pas exempt de défauts (sans doute le récit aurait-il gagné à être raccourci dans ses deux premières parties), si le résumé et la contextualisation de certains films évoqués, probablement rendus nécessaires par le cadre éditorial du roman, agaceront parfois l’amateur chevronné, ladite foi embarque dès les premières phrases pour ne plus nous lâcher ou quasi. Non, Del Amo n’est pas Stephen King. Non, il n’a pas ici créé l’équivalent de Grippe-Sou, une absolue figure du mal qui n’en finit jamais d’irriguer l’ensemble du corpus. Non, il n’a pas écrit un roman dont on peut dire qu’il y aura un avant et un après. Mais il n’en a pas moins produit un excellent livre, un récit d’horreur sincère porté par un moteur narratif d’une grande puissance et d’une justesse imparable. Une réussite, en somme, qui s’inscrit dans une riche tradition qu’il ne dépare pas, bien au contraire.

 

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