Mark CHADBOURN
ORBIT
452pp - 22,90 €
Critique parue en avril 2010 dans Bifrost n° 58
Un soir, Jack Churchill et Ruth Gallagher, qui ne se connaissent alors pas, sont témoins d'une agression perpétrée par un géant monstrueux sous un pont de Londres, agression brutale, traumatisante, au terme de laquelle l'un et l'autre perdent connaissance. Incapables le lendemain de raconter la vérité à la police, ils décident de mettre en commun leurs souvenirs et s'aperçoivent bien vite que cette agression n'est pas le seul événement étrange qui secoue l'Angleterre (toute la technologie, le réseau informatique en particulier, a tendance à partir en sucette). Conscients que, d'une façon qui leur échappe pour le moment, ils se sont mis en danger, ils joignent leurs forces pour trouver des réponses à leurs questions. Attaqués par des créatures surnaturelles appartenant aux ombres les plus noires du folklore celtique, ils sont momentanément sauvés par une sorte de hippie, plutôt pénible, prénommé Tom. Celui-ci les conduit à Stonehenge où ils seront en sécurité pour la nuit, car ce site sacré aveugle les créatures du mal. Le temps des révélations, et donc de l'Apocalypse, approche. Les anciennes puissances celtiques se sont réveillées et la Chasse Sauvage (traduite ici par « Battue sauvage », dommage…) est à nouveau ouverte.
À la lecture de cet ouvrage (qui n'aurait pas souffert d'un solide dégraissage), impossible de ne pas penser à La Forêt des mythagos de Robert Holdstock et à Roi du matin, reine du jour de Ian McDonald, mais là où McDonald faisait œuvre de littérature et où Holdstock se refusait à tout manichéisme, chez Chadbourn le manichéisme est assumé (les bons d'un côté, les méchants de l'autre) et la littérature absente (ce que n'arrange pas une traduction aux choix souvent malheureux).
Cela dit, ce qui manque à Mark Chadbourn (un style élégant, un refus tranché du manichéisme), il le compense aisément avec la fascinante description qu'il offre des sites et des rites de l'Angleterre préhistorique, sans oublier un angle de narration original, dans ce genre de fantasy, car La Nuit sans fin fonctionne davantage comme un gros thriller de plage que comme une fantasy urbaine. Le pavé, efficace bien que bavard (il y a un vrai déséquilibre entre les tartines de dialogues et l'action souvent réduite à la portion congrue), se lit comme un Michael Crichton ou un Douglas Preston & Lincoln Child. L'été approche ; alors plutôt que de lire une énième histoire de serial killer encore plus pervers que ses augustes prédécesseurs, on peut se jeter sur ce premier volume de L'Âge du chaos et savourer le plaisir de voir les anciens dieux ravager le monde moderne.