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Les critiques de Bifrost

La Paix éternelle

La Paix éternelle

Joe HALDEMAN
POCKET
408pp - 21,19 €

Bifrost n° 16

Critique parue en décembre 1999 dans Bifrost n° 16

Voici donc, 25 ans après La Guerre éternelle, La Paix éternelle qui, en dépit d'un évident clin d'oeil, n'est nullement une suite du précédent. Néanmoins Joe Haldeman, qui fut blessé au Viêt-Nam, a conservé une aversion toujours aussi vive pour la guerre. Désormais, il ne se contente plus de la dénoncer, il veut l'éradiquer et aspire à une paix éternelle autre que celle des cimetières.

Le background de ce roman mérite une attention toute particulière. En 2043, les Etats-Unis (et l'Occident riche et « Blanc » avec eux) sont en guerre avec les Ngumi (les « métèques ») des pays pauvres du Sud. Bref, une situation à laquelle on s'attend dès à présent. Par contre, on est fort surpris de l'« évaporation » de l'entreprise privée, de la bourse, des forces du marché. Il n'en est à aucun moment question.  À l'inverse, le poil du gouvernement est à nouveau dru, soyeux et brillant à souhait, resplendissant de santé. Et cela grâce à la nanotechnologie qu'il contrôle, dont les nanoforges sont les sites de production, véritables cornes d'abondance d'où sortent diamants, robots de combat ou accélérateur de particules géant sur orbite circumjovienne… Bien entendu, le Sud n'a pas de nanoforge et seuls les pays soumis peuvent en espérer l'usufruit.

Cette société dégage une forte odeur de communisme. L'essentiel est gratuit, le superflu (alcool, divertissements, etc) rationné avec tickets sauf pour les militaires. L'armée est apparemment la seule activité lucrative, bien plus que la physique en tout cas. La guerre elle-même apparaît comme un état de fait sans cause bien définie et sans qu'Haldeman le dise — autant comme un rempart contre la vacuité intérieure que contre les Ngumi. La Paix éternelle s'inscrit, bien sûr, dans la veine de grandes oeuvres antimilitaristes telles que le célèbre Catch 22 de J. Heller ou La Guerre définitive de Barry N. Malzberg. En filigrane, Haldeman ouvre la spéculation sur les motivations futures de la guerre ; celle du roman trouvant écho dans la réalité contemporaine à travers une même destruction à sens unique de la Serbie et des Ngumi, pure expression d'une volonté de puissance et d'asservissement à une culture et une pensée uniques.  À défaut de raisons économiques, un prétexte moral qui lui aussi transparaît, servant de justification.. Mais, comme le dirait Valerio Evangelisti, « le problème des droits de l'homme n'était soulevé que pour les états qui perturbaient l'équilibre international » (in « Sepultura », nouvelle publiée dans Le Monde du samedi 24 juillet 99).

En 2043, tout va donc bien : les massacres s'enchaînent avec toute la fluidité voulue et l'alcool n'est pas rationné aux militaires afin qu'ils puissent se saouler pour oublier les horreurs qu'ils commettent…

Le sergent Julian Class dirige à distance un commando de robots presque indestructibles à raison de dix jours par mois grâce à une interface neurale. Le reste du temps, il enseigne la physique à Houston. Sa compagne, Amélia Harding, physicienne elle aussi, travaille sur le projet Jupiter — la construction d'un accélérateur de particules vraiment géant sur une orbite complète autour de Jupiter afin de recréer les conditions du « Big Bang ». Dans un club, ils fréquentent entre autres Marty Larrin, l'inventeur de l'interface neurale grâce à laquelle il est possible de diriger les « petits soldats » (robots) à distance, comme si on y était. Mais Class et Harding ne tardent pas à se trouver à la conjonction d'événements qui vont radicalement changer la face du monde…

Il va sans dire que La Paix éternelle est un roman riche d'interrogations. Sur le pourquoi d'une guerre sempiternelle entre le Nord et le Sud alors que la richesse pourrait être partout disponible. Sur les conséquences économiques et sociales d'une nouvelle technologie majeure (la nanotechnologie) et sur l'impact politique de son éventuelle nationalisation. Sur l'existence (aux USA en particulier) de nombreux fanatiques vouant un culte à l'apocalypse. Il interroge sur le principe de responsabilité : faut-il, au nom du savoir, expérimenter à tout prix quitte à risquer une catastrophe (finale en l'occurrence). Enfin, dans le cadre plus vaste de la création, ce roman nous demande si l'univers n'est pas effacé et ramené à son origine à chaque fois que la première des espèces qui s'y développe parvient à un stade précis de civilisation. Vaste perspective…

On s'étonnera sans doute qu'un roman de cette envergure ait trouvé sa place dans une collection comme « Rendez-vous ailleurs », plutôt orientée vers le divertissement kilométrique, en compagnie d'auteurs comme Marion Zimmer Bradley, Anne McCaffrey ou David Eddings. Ceci dit, il y a déjà eu un précédent : ainsi se souviendra-t-on de La Jeune fille et les clones de David Brin. La richesse de la problématique ne fait pas de La Paix éternelle un livre abscons ; il est à la portée de chacun tout en offrant la fluidité narrative et la facilité de lecture qui sont l'apanage, pour le meilleur et pour le pire, de la collection. On se serait davantage attendu à trouver Rupture dans le réel, l'aventureux space opera de Peter F Hamilton sous ce label et inversement, La Paix éternelle, dont l'ambitieux questionnement est plus conforme à l'image de marque d' « Ailleurs et Demain », chez Laffont. Mais qu'importe de savoir d'où viennent les bonnes surprises…

Si La Paix éternelle n'a pas encore obtenu de récompense française, ses Hugo et Nebula n'ont vraiment pas été volés.

Jean-Pierre LION

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