L’œuvre protéiforme de Léo Henry s’accroît d’un nouveau titre de sa veine « populaire », paru directement en poche – ce qui avait déjà eu lieu pour Le Casse du continuum. Cette fois, ce n’est plus de SF qu’il s’agit, mais d’un « thriller d’infiltration lovecraftien ».
Bastien Regnault, un pauvre type à la dérive, y part en quête de Diane, sa sœur jumelle dont il n’a plus de nouvelles – une quête qui est peut-être d’abord et avant tout de soi. La piste de la disparue s’arrête à la Défense? ; là-bas, les Trente Glorieuses ont généré leur excroissance la plus fantastique, un délire futuriste de quartier d’affaires en verre et en acier côtoyant un lieu de vie destiné à tirer un trait sur les bidonvilles de jadis : on ne fait pas que travailler, à la Défense. Ce qui ne rend pas ce microcosme moins perturbant – d’autant qu’il faut compter avec la dalle, et ses couloirs labyrinthiques propices à l’odyssée chtonienne…
Bastien rassemble très vite des indices laissant supposer que la Défense abrite une société secrète bourgeoise – quelque part entre la Society de Brian Yuzna et Eyes Wide Shut de Kubrick? ; un territoire interdit pour notre « héros », qui se voit pourtant offrir une autre opportunité d’en appréhender les secrets… en travaillant.
Un travail plus aliénant que jamais, foncièrement déshumanisant? ; il ne l’en apprécie que davantage, comme un moyen radical de s’abandonner à une vie clef en main, rassurante dans sa brutalité, et où pseudo-psychologues et pseudo-gourous s’associent pour offrir aux employés, quels qu’ils soient, l’illusion d’une émancipation par l’effort.
Car la société secrète de la Défense est aussi là – et peut-être même avant tout. La secte opère par le travail – les deux univers font usage des mêmes outils… Bastien envisage ainsi d’un œil serein la possibilité d’un accomplissement, car grimper les marches de la hiérarchie a quelque chose de la révélation initiatique opérant par paliers – peut-être même est-il un « élu »? ?
C’est oublier deux réalités fondamentales – toujours sous-jacentes, mais que d’ultimes effets d’échelle rendent plus oppressantes encore : la Défense est un monstre, et la Panse, avant tout, est un organe dont la fonction est de dissoudre.
Sur cette base, Léo Henry concocte un thriller intelligent, au rythme très particulier, opérant par brusques accélérations et décélérations. Il livre aussi, fidèle à ses promesses, un récit lovecraftien remarquable. Il n’a certes pas besoin de citer nommément Cthulhu pour ce faire, ni même à appuyer sur « l’horreur cosmique » : l’ambiance très travaillée, « réaliste », est parfaite, qui use de tous les ressorts de l’inquiétude au cœur de cette architecture menaçante, où la volonté urbaniste dévoyée suscite un cauchemar proprement cyclopéen – R’lyeh sur Seine.
Enfin, l’horreur est d’autant plus palpable qu’elle emprunte une dimension sociale bienvenue et plus subtile qu’il n’y paraît – au cœur même de la dichotomie de la Défense, lieu où l’on travaille et lieu où l’on vit. Le travail aliénant est au moins autant au cœur de l’intrigue que l’urbanisme fou et la quête d’identité – autant de dimensions qui se mélangent sans cesse.
Dans son registre, La Panse est une belle réussite : un thriller intelligent, et intelligemment lovecraftien.