Début du XXe siècle, un républicain irlandais fuyant son passé est déposé sur une petite île de l’Atlantique Sud, non loin de l’Antarctique. Il doit y occuper le poste de météorologue, seul et loin de tout, pour une année entière. Une année, ça, oui. Mais seul… non. Malheureusement pour lui. Assiégé dès la première nuit par des hordes de monstres amphibies, il trouve un improbable allié dans le « gardien du phare », Cafis Batto, homme dur et bourru, sans doute fou, mais entrainé à la survie. Jusqu’à ce qu’un amour étrange pour un monstre femelle fasse basculer les alliances…
La Peau froide est un livre d’un élégant classicisme dans l’écriture. Maîtrise et richesse de la langue, préjugés racialistes énoncés comme des évidences, ce roman pourrait passer sans difficulté pour un ouvrage écrit il y a cent ans ou plus, ce qui, sous ma plume, est toujours laudatif.
Sur le plan narratif, l’histoire est de bon aloi pendant au moins deux bons tiers. L’isolement absolu, le retrait hors de l’Humanité, vécu par les deux naufragés encalminés sur leur île minuscule, sans moyen de communication et loin des routes maritimes, a quelque chose de vertigineux. Tekeli-li !
Réduits à focaliser toutes leurs actions, puis tout leur être, sur les nécessités de la survie par la guerre, les deux hommes finissent par se réduire à un vouloir vivre où l’intelligence n’est qu’un outil au service de l’anéantissement de l’Autre. Même plus le temps de lire le Frazer, pourtant disponible dans le phare, qui pourrait peut-être les éclairer. Dans un contexte fantastique qui rappelle Lovecraft et ses Profonds, La Peau froide a les attributs d’un roman post-apocalyptique.
Puis il y a le contact, émotionnel. Un monstre femelle vit dans le phare avec les deux hommes, servante volontaire, étrangement attirante, à la sexualité hypnotique et vénéneuse, qui amène progressivement le météorologue à dessiller les yeux.
Et là, le roman bascule dans un didactisme regrettable. Jusqu’alors, les deux niveaux de lecture n’interféraient pas. Roman effrayant d’un côté, métaphore du racisme et de la guerre de l’autre. Volonté d’anéantissement, dépersonnalisation et déshumanisation de l’ennemi, privé même de nom, solidarité « biologique » dépassant les antagonismes moraux, c’était plutôt fin, et surtout, ça laissait au lecteur le choix de la lecture souhaité ; j’y ai plaqué le conflit israélo-palestinien. Mais quand le « héros » découvre, comme une épiphanie, que, sous la peau froide des monstres, il y a un petit cœur qui bat, ça m’a rappelé un vieux sketch de Fernand Raynaud intitulé « L’Etranger ». Et c’est au contact des enfants des monstres que se produit le miracle ; rien ne nous sera donc épargné… La suite est prévisible, entre ceux qui voient plus loin, assez pour chercher à faire la paix, ceux qui refuseront ce que leurs sens leur disent, jusqu’au suicide, et la relève, fraîche et enthousiaste, qui empêchera la guerre de cesser.
Au final, si on aime le bien et le bon, il faut lire La Peau froide. Pour qui préfère un peu de finesse, mieux vaut éviter en revanche, on s’épargne la déception.