Voici un time opera légèrement uchronique aux couleurs décalées du steampunk. Légèrement uchronique parce qu'il arrive à André Citroën, dans ce roman, des choses qui, de l'aveu même de l'auteur, ne se sont jamais produites dans la réalité. Ainsi, l'industriel ne s'est jamais rendu en Afrique.
C'est pourtant en Algérie, dans le Hoggar, que se déroulent les péripéties dont il est le protagoniste. Cependant, seule la biographie de Citroën et les événements qui y sont liés sont uchroniques. Le reste du monde est bien tel que nous le connaissons.
Décalé du steampunk parce que les épopées automobiles en Afrique du Nord de l'entre-deux guerres — 1924 — ne relèvent pas de la technologie de la vapeur. Les Années Folles — on évoque une jeune modiste (styliste), Gabrielle Chanel — ne sont plus la Belle Époque et le moteur à explosion est en train de triompher de la vapeur. Point de dandy romantique ni rien de gothique. Une fugace allusion à Isabelle Eberhart destinée à se plaquer sur Corinne/La Valide n'y changera rien. Pourtant, ce contexte n'appartient qu'au steampunk qui, de plus en plus, s'écarte de la période victorienne pour déborder sur tous les Temps Modernes.
C'est aussi un time opera. Enfin, c'est au time opera ce que le jus de raisin est au pinard. On y voyage bien dans le temps mais sans faire de vagues : c'est-à-dire de paradoxes. Le passé est intangible. Les voyageurs du temps ne faisant que conformer le présent — 1924 — avec leur passé. La Perle à la fin des temps est ainsi à cheval sur une frontière interne de la S-F.
Les événements, et deux autochenilles Citroën B2, convergent à la fois vers une caverne au fond du Hoggar qui abrite la perle à la fin des temps et vers un long chapitre final où tout se dénoue.
Le motif central du roman n'est autre que le conflit séculaire qui, au sein de l'Islam, oppose chiites et sunnites. Dans le futur, le monde est dominé par l'empire néo-Ottoman, dictature sunnite appliquant la Ghana et dont les dirigeants rêvent de l'immortalité du XIIe imam, « messie » des chiites disparu au IIIe siècle de l'Empire mais seulement mort en 1924, et encore pas tout à fait. Le plongeon dans la fontaine d'éternelle jouvence qu'est le lac souterrain de la Perle n'est pas sans conséquences. Ses cellules survivant toujours, les néo-Ottomans envisagent de le cloner grâce à Manat, une jeune femme qui est la protégée des Cyberderviches. Les chiites, en la personne de la Valide/Corinne, nourrissent d'autres projets pour lui vu qu'il est censé revenir peu avant la fin du monde. Projets qu'entend contrarier un éminent orientaliste ayant eu Corinne/la Valide comme élève, devenu immortel pour avoir fait le plongeon et légionnaire — car la Légion Étrangère est impliquée à ses dépens dans cette obscure affaire… Bien que très présents sur la scène, Citroën et Mattéo Campini ne sont en fin de compte que des seconds rôles quant à l'intrigue.
Le but poursuivi par Masali, à travers ce roman, est de montrer aux lecteurs que l'Islam peut se décliner de moults façons et le Coran s'interpréter de diverses manières. Ainsi, quand le Coran préconise aux femmes et filles de Mahomet de se voiler, est-ce aux seules épouses du Prophète et aux filles qui en sont nées ou, par extension, à toutes les musulmanes comme l'imposent les Talibans ? En l'occurrence, les intégristes choisissent l'interprétation la moins littérale. Ce que montre également l'auteur, c'est que l'interprétation — tout comme pour la Bible — est surtout fonction de la position sociale.
Sous des péripéties mouvementées, on tient là un roman à la fois érudit et fort intéressant. Masali parvient sans peine à présenter plusieurs facettes de l'Islam sans être didactique ni moraliste. Comme le Coran, La Perle à la fin des temps laisse le lecteur libre de sa lecture. Qui veut un roman d'aventures l'y trouvera, qui veut recevoir le message de l'auteur le pourra.