Patrick K. DEWDNEY
AU DIABLE VAUVERT
23,00 €
Critique parue en octobre 2018 dans Bifrost n° 92
Je l’avoue, à la fin de la lecture du tome 1, me restaient quelques doutes sur cette nouvelle fresque de fantasy : l’auteur saurait-il trouver un nouveau souffle pour ce récit épiquo-réaliste ? Saurait-il se dissocier des modèles de Robin Hobb et de Glen Cook, géants incontournables dont on devinait l’ombre ? Réussirait-il à rebondir après quelques chapitres finaux plus faibles et un dénouement un brin convenu ?
La réponse est oui ! Cette suite tient toutes les promesses annoncées : l’histoire se poursuit naturellement, riche en événements et péripéties déroutantes. Le style, toujours fleuri et précis, la sert encore plus efficacement que dans le livre précédent. Les personnages se complexifient, les décors s’étoffent, le mythe s’installe… une recette personnelle qui fonctionne et qui offre une lecture addictive.
On y retrouve Syffe, le narrateur principal, quelques années après la fin du tome 1. Réduit en esclavage suite à sa capture par l’ennemi qu’il combattait, l’adolescent (presque adulte) est réduit à travailler dans les mines carmides. Perte des êtres proches, souffrances psychiques et physiques extrêmes, déshumanisation permanente, rien ne lui est épargné. Et pourtant, subsiste en lui cette volonté de survivre à tout prix, cette force qui, lors d’une effroyable épidémie de peste, va lui permettre de trouver une issue. S’ensuit une quête éperdue pour rejoindre Brindille, son amour d’enfance, et pour donner un sens à cette nouvelle chance de vivre. Mais le chemin est jonché d’obstacles, de courants politiques qui peuvent entraîner à tout instant les personnages dans leurs remous, de grands pouvoirs anciens qui font balloter les modestes destinées humaines…
L’opposition entre l’horreur de la captivité vécue par le narrateur, la violence meurtrière des combats guerriers, l’aveuglement avide des rois et autres seigneurs et cet optimisme primordial, ce plaisir d’exister une journée de plus, d’un homme brisé qui trouve encore la force de ce réjouir des choses ordinaires, apporte une nouvelle dimension philosophique au récit. Le réalisme propre à l’auteur est toujours présent, avec cette réflexion sur la condition humaine, sur la place de la femme dans la société, sur l’absurdité des jeux de pouvoirs des puissants, toujours aussi détachés du peuple. Se poursuit aussi le questionnement mystique de Syffe sur les forces mystérieuses qui animent son univers et fédèrent ou séparent les peuples qui les croient (parfois aveuglément)…
Dewdney réussit ici à s’approprier la fantasy pour lui redonner un de ses rôles trop souvent perdu dans les publications actuelles : elle est un miroir de notre société et nous interroge sur nous même. Et on en redemande. Car, en simple étincelle perdue dans tous ces tourbillons, Syffe éclaire l’obscurité d’une lueur incomparable, et risque d’allumer un feu qui ravagera tout sur son passage…
Une seule question subsiste : à quand la suite ?