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Les critiques de Bifrost

Critique parue en janvier 1998 dans Bifrost n° 7

 

Beaucoup confondent allégrement la Fantasy avec le conte de fées : « Il était une fois un pauvre enfant qui… et une sorcière très méchante… ». La Fantasy est un genre postérieur à à la Science-Fiction, donc plus sophistiqué et complexe à manier encore, et a été, selon moi et pour simplifier, inventé dans les pages de Weird Tales, puis métamorphosé et popularisé par Tolkien. Les contes de fées, le roman merveilleux, les légendes arthuriennes et les mythologies en sont les ancêtres — pas les équivalents. Vous n'êtes pas forcé de me croire, mais jugez plutôt de ce qui arrive quand on prend un peu trop à la lettre le modèle du conte, ce qui est manifestement le cas ici.

La pierre et la flûte est donc le récit de la vie du fils du juge d'un village. Refusant de se battre, il préfère soigner les blessés des deux camps — alors qu'une horde de pillards s'attaquent à leur beau territoire. Le garçon en question, prénommé Tout-Ouïe, gagne en récompense de sa grandeur d'âme une pierre d'une beauté étrange, transmise par l'un des ennemis mourant, avec la quête qui y est associée et qui implique de devenir l'élève d'un joueur de flûte. À partir de ce fil assez lâche et ténu pour garantir une décalogie (voir plus) de romans dérivés, Bemman va nous narrer une série de petits contes comme l'histoire d'une sorcière associée à des loups-garous qui charme les voyageurs pour mieux les dominer, le tout entrelardé de flash-backs sur la pierre et ses précédents détenteurs, qui ne révéleront pas un gramme de sa provenance, sa fonction ou sa destination exacte: c'est magique et ça fait voir des choses, mais ce n'est pas un champignon.

La naïveté de l'ensemble ne peut s'admettre qu'en dégringolant d'une à plusieurs dizaines d'années dans votre âge mental (on appelle ça « retrouver son âme d'enfant ») : Charles Martel aurait dû essayer la flûte avant de passer au marteau de guerre pour arrêter les musulmans d'Espagne à Poitiers. Le plus regrettable, c'est bien que l'on a aucune raison de s'intéresser à une pareille histoire à part pour un délassement relatif et parfaitement passif : pas une seule seconde le texte ne fera appel à l'imaginaire ou à la réflexion de son lecteur. À l'image du héros Tout-Ouïe, il est là pour écouter et se taire. C'est dans la platitude et la désolation des étendues désertiques que se complaisent ces communautés, ces civilisations en trompe-l’œil, schématiques et frustes.

Même un conte de fée jouait en son temps avec les peurs et les croyances de son public. Et il était parfaitement en phase avec les réalités psychologiques et sociologiques de son époque. La Pierre et la Flûte (et bien d'autres romans parus sous le label Fantasy) ne l’est en aucun cas. Ce n’est pas parce qu'on met en scène des éléments aussi vagues que l'injustice, la cruauté ou la bonté, qu'on arrive à toucher le lecteur. Enfin, je crois fermement que la véritable Fantasy, celle qui est née au XXe siècle, ne se contente pas de juxtaposer des éléments fantastiques ou historiques, mais fera appel à toutes les sciences (l'ethnologie en particulier) pour mieux restituer un univers imaginaire sophistiqué et cohérent, exprimant ainsi des préoccupations intime liées à celles de l'homme du XXe siècle.

David SICÉ

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