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Les critiques de Bifrost

La Pilule suivi de Big Girl et autres textes

Meg ELISON, Terry BISSON, (non MENTIONNÉ), Terry BISSON, Meg ELISON, (non MENTIONNÉ)
GOATER
160pp - 15,00 €

Critique parue en janvier 2023 dans Bifrost n° 109

Pour cette première parution de Meg Elison en français, les éditions Goater nous proposent une traduction d’un recueil mêlant fiction, essais et entretien. L’ouvrage débute par « La Pilule », nouvelle récompensée par un prix Locus, et qui à elle seule justifie l’achat du livre. Sa plume précise mêle une écriture de l’intime à une certaine teinte d’angoisse. Le sujet ? Une jeune femme, grosse comme toute sa famille, voit un jour l’arrivée d’une efficace pilule amaigrissante. Malgré un taux de mortalité de 10 % et une semaine de douleurs à peine supportables, le dispositif est peu à peu adopté aux USA, puis mondialement, normalisant encore plus les corps… et faisant peser de façon démesurée la grossophobie sur cette femme qui refuse de prendre cette pilule. Véritable descente aux enfers, le récit montre le piège se refermer sur notre protagoniste déterminée à vivre, survivre, dans une société qui lui est particulièrement hostile, hormis dans ses aspects fétichisants. Au travers de cette démonstration science-fictionnelle d’une société où la grossophobie est des plus déshumanisantes, Meg Elison livre une réflexion sur l’impact de la norme dans la lignée de la nouvelle « Aimer ce que l’on voit » de Ted Chiang. Implacable et nécessaire.

À sa suite, « El Hugé » semble bien pâle, mais se lit avec plaisir, comme une respiration avant l’étrange « Big Girl », où l’on voit apparaître dans la baie de San Francisco une géante nue, bientôt identifiée comme une adolescente en pleine métamorphose. Avec une prose poétique ponctuée de diverses archives de blogs, journaux et posts de réseaux sociaux, l’autrice dénonce l’objectification et la sexualisation des adolescentes, jusqu’à l’étourdissement : efficace. (Un bémol : la couverture du recueil, qui semble être passée à côté du propos de la nouvelle « Big Girl , dommage.)

L’essai « Emportée par Autant en emporte le vent » permet d’en savoir un peu plus sur Meg Elison, via ses nombreuses lectures d’un classique au fil de sa vie. Ces relectures diffèrent tels des miroirs de son vécu – personnel ou théorique – et mettent en perspective des points de tension entre la littérature et la société, entre l’intime et l’imaginaire, entre les différentes personnes qu’a été l’autrice… et que beaucoup d’entre nous peuvent expérimenter (pour peu qu’on relise).

Dernière nouvelle, « Un tel peuple » est une autre extrapolation dystopique des USA. Anti-conte de Noël au travers du regard de son protagoniste, Omar, terrassé par un problème dentaire qu’il est trop démuni pour soigner, on (re)découvre un pays sous la coupe d’un président qui, souhaitant rendre grandeur à sa nation, n’a en réalité fait que soumettre la majorité de ses citoyens à un état de surveillance, de délation, de répression et de grande pauvreté. Une fois de plus, l’inquiétude procurée par ce puzzle dystopique se confronte à un manque d’espoir tout aussi totalitaire.

L’entretien avec Terry Bisson, ainsi que le texte « Tripes » clôturent ce recueil en nous apportant des clés de relecture – « Tripes » précède « La Pilule » de quelques années et éclaire sur ses racines autofictionnelles – et attisent la curiosité envers les autres textes de Meg Elison… Bonne nouvelle, les éditions Goater indiquent en fin d’ouvrage que son premier roman, The Book of the Unnamed Midwife (prix Philip K. Dick 2014) est en cours de traduction. Arrivée prévue en 2024, soit dix ans après sa parution initiale : encore un peu de patience, car si ce premier roman de Meg Elison est à la hauteur de ses nouvelles, cela en vaudra la peine !

Eva SINANIAN

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