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Les critiques de Bifrost

La Piste des cendres

La Piste des cendres

Emmanuel CHASTELLIÈRE
CRITIC
616pp - 24,00 €

Bifrost n° 98

Critique parue en mai 2020 dans Bifrost n° 98

La Piste des cendres s’inscrit dans le même univers que L’Empire du léopard, un quart de siècle plus tard. Il n’en constitue pas une suite, et peut donc se lire de façon indépendante, voire même avant L’Empire du léopard.

L’action se passe au Nouveau-Coronado, contexte imaginaire mais s’inspirant de la colonisation espagnole en Amérique centrale et du sud. Formé vingt-cinq ans plus tôt, après la défaite de l’empire du léopard, le dernier et le plus puissant des royaumes indigènes, il présente un net contraste entre un nord (les ex-territoires impériaux) agricole et un sud industrialisé. Les divisions sont nombreuses, entre colons nordiques rêvant d’indépendance et sudistes fidèles à la métropole, entre indigènes et colons venus du Premier Continent, entre ceux qui ont connu celui-ci et ceux qui sont nés dans la péninsule, entre individus issus de parents d’une seule ethnie et métis, entre ceux issus d’un père colon et les autres. Alors que la grogne et les tensions pourraient prendre des allures de guerre civile, les indigènes montrent eux aussi des signes de révolte, et l’assassinat du vice-roi par l’un d’eux puis l’annonce de la venue prochaine de la reine Constance vont mettre le feu aux poudres. En parallèle à ce propos décolonisateur et sécessionniste, l’auteur en offre un second, plus personnel, montrant le chemin, psychologique, voire identitaire, parcouru par un chasseur de primes en quête de vengeance, issu des deux peuples de la péninsule, déchiré entre deux cultures (les deux trames se rejoignent d’une façon habile et surprenante à la fin du second tiers). La notion d’identité est un des axes structurant le roman, que ce soit celle d’une terre qui hésite entre n’être qu’une dépendance de la métropole ou une nation à part entière, celle des métis qui ne savent pas qui ils sont, celle des indigènes qui tentent sans succès de continuer à vivre sur des terres qui furent leurs mais ne le sont plus. L’auteur a déclaré avoir voulu proposer une fantasy de divertissement sans qu’elle soit pour autant dépourvue de fond, et sa réussite est totale, son roman abordant sans militantisme mais avec doigté des thèmes aussi profonds qu’actuels.

La singularité et le charme de cet univers, modelé sur la Patagonie, avec son ambiance western, ses vachers et chasseurs de primes, ses puits de pétrole et ses montgolfières, est ce qui frappe en premier, mais c’est loin d’être le seul point positif à mettre au crédit d’Emmanuel Chastellière. Il a su tisser une ambiance envoûtante, il a, contrairement à L’Empire du léopard, maîtrisé le rythme de bout en bout, ses personnages sont aussi variés (métis fils de grand propriétaire terrien, nouveau vice-roi qui est un ancien mercenaire en quête de gloire, indigène, journaliste) qu’intéressants et attachants, tout comme l’est leur évolution. Le style est fluide et agréable sans jamais être pédant, l’intrigue prenante, la construction narrative habile et astucieuse, et la fin tout à fait réussie, à l’image d’un épilogue qui ne pourra pleinement se comprendre que par ceux qui ont lu l’autre roman, bien que cela ne soit pas une obligation (mais permet une mise en perspective).

On pourrait reprocher à l’auteur l’utilisation de deux tropes éculés (même si c’est fait habilement), et l’emploi de la technique narrative constituant le twist de la fin du second tiers (et qui pourrait gêner certains lecteurs). On pourrait, oui. Mais cela ne doit pas masquer le fait que ce nouveau roman est facilement deux crans au-dessus de L’Empire du léopard (pourtant déjà fort recommandable) et consacre Emmanuel Chastellière comme un des nouveaux grands écrivains français de fantasy, dans sa forme la plus novatrice et pleine de sens, extra-européenne, post-médiévale et coloniale.

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