Durant plusieurs décennies, le Fleuve Noir fut incontestablement l'éditeur le plus conservateur et le moins accessible, préférant faire travailler à la chaîne ses auteurs maison plutôt que s'ouvrir aux nouveaux talents. La situation s'inversa complètement durant les années quatre-vingt et la collection « Anticipation » permit à ceux qui allaient devenir les auteurs les plus en vue de la science-fiction française (Ayerdhal, Lehman, Wagner, Genefort…) de faire leurs débuts professionnels. Ces dernières années, si le Fleuve publie toujours autant, sinon plus, de jeunes écrivains, la plupart disparaissent après un ou deux romans, généralement fort médiocres. Qui se souvient aujourd'hui de Hugo van Gaert, Christophe Kauffman ou Lucas Gorka ? Et surtout : qui regrette leur disparition ?
Depuis la fin d' « Anticipation », les choses ne se sont pas arrangées, bien au contraire : la quasi-totalité des premiers romans publiés par le Fleuve Noir sont d'une nullité abyssale. À qui la faute ? À une politique éditoriale aberrante ou simplement à l'absence de bons manuscrits ? Probablement aux deux.
La piste indigo est symptomatique de cette crise. Le point de départ de cette histoire n'est pas inintéressant : l'arrêt soudain du principal réseau informatique mondial, basé à Singapour, entraîne l'effondrement du système économique planétaire et attise les tensions internationales. Au Tibet une équipe improvisée d'informaticiens va tenter de débloquer la situation avant qu'il ne soit trop tard. Malheureusement, passé les premières scènes d'exposition, le récit avance à la vitesse d'un cheval mort. De scènes répétitives en dialogues redondants et empruntés au possible (entre autres, les personnages ont tous la fâcheuse manie de répéter le nom de leur interlocuteur toutes les deux phrases), le roman s'enlise et le lecteur s'endort. On en vient à se demander si l'auteur se moque pas de nous lorsqu'il écrit : « Il restait de la guerre une attente interminable, attente de ce qu'il se passe enfin quelque chose. » (p.319) Les derniers doutes sont levés lorsque l'intrigue est enfin résolue, dans un flou artistique absolu, et qu'un des personnages s'exclame : « comment a-t-on gagné, on ne le saura jamais ! » (p.356) Le cynisme de Chabeuil n'a d'égal que la vacuité de son roman, dont la plus impardonnable des tares est d'être encore plus méprisant que méprisable.