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Les critiques de Bifrost

La Plage de verre

La Plage de verre

Iain M. BANKS
POCKET
734pp - 11,70 €

Bifrost n° 42

Critique parue en mai 2006 dans Bifrost n° 42

Surprise, il reste encore des romans S-F de Iain M. Banks inédits en France. Ni Culture, ni apparenté, Against a dark background, publié outre-Manche en 1995, débarque ce mois-ci au Fleuve Noir sous le titre La Plage de verre. Il aura donc fallu attendre onze ans pour découvrir ce space opera étonnamment traditionnel, même si la touche Iain M. Banks est évidemment très présente. Si le second degré et l'ironie mordante de la Culture sont ici atténués par une action menée tambour battant du début à la fin, la description de la planète Golter vaut le détour, tant la critique d'un système hiérarchisé et quasi-médiéval est acerbe. L'anticléricalisme n'est pas en reste, mais jamais Banks ne donne dans le primaire. Il tape en décalage et avec humour. Exemple, cette confrérie de moines qui a tout de la prison, où les pensionnaires sont enchaînés aux murs, mais, par un habile système de rails (Banks adore les rails, c'est presque une obsession), peuvent se déplacer dans l'édifice. Au-delà de ces petits détails et de la vision tragi-comique d'une société décatie, La Plage de verre est surtout un excellent roman hard-boiled où l'auteur applique la petite phrase magique de Chandler : In case of doubt, have a man with a gun.

Nous suivons les aventures de Sharrow, sorte de Wonderwoman guerrière rompue à toutes les formes de combat (mais rangée des camionneurs), descendante d'une lignée de femmes qui ont, hélas, commis çà et là quelques blasphèmes qu'il faudra un jour payer. Ça tombe bien, le jour est arrivé, et les affreux fondamentalistes obtiennent le droit légal d'assassiner Sharrow si elle ne restitue pas à l'Ordre ce que ses ancêtres ont volé. Suivant le principe très fantasyste de la quête initiatique, l'héroïne (car c'en est une) doit d'abord réunir ses anciens compagnons d'arme et récupérer quelques objets mythiques pour ensuite se consacrer au problème en lui-même. Cette promenade donne lieu à toutes sortes de rebondissements violents et meurtriers dont on ne dévoilera rien ici, mais qu'on peut tout de même qualifier de palpitants. Assez curieusement, le roman est souvent taxé de « sombre » par la critique anglo-saxonne. Même si les cadavres s'accumulent et que le fond de l'histoire reste assez tragique, le côté réjouissant de La Plage de verre, son ironie distante et son action permanente en font plutôt un texte jubilatoire où, comme à son habitude, Iain M. Banks aligne les poncifs les plus éculés pour mieux les tordre et les réinventer. On a presque l'impression d'assister à une sorte de répétition générale « avant Culture », univers aujourd'hui mythique qui pousse la parodie encore plus loin.

Mais si ce « nouveau » Iain M. Banks est une lecture parfaitement recommandable, il est effectivement un peu en deçà de ce à quoi nous avait habitué un auteur aussi talentueux qu'intelligent. La Plage de verre n'est donc pas un chef-d'œuvre, simplement un très bon roman, drôle et violent, passionnant et remarquablement bien mené. Que demande le peuple, ma bonne dame ?

Patrick IMBERT

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