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Les critiques de Bifrost

La Pluie du siècle

La Pluie du siècle

Alastair REYNOLDS
PRESSES DE LA CITÉ
588pp - 23,00 €

Bifrost n° 50

Critique parue en mai 2008 dans Bifrost n° 50

Dans ce nouveau gros roman, Alastair Reynolds rompt avec le cycle des Inhibiteurs qui l'a révélé. La Pluie du siècle offre à la découverte un nouvel univers qui s'annonce tout aussi complexe.

En 2300, à la suite d'une catastrophe nanotechnologique, toute vie sur Terre est devenue impossible. Les survivants issus des communautés qui étaient établies en orbite se sont scindés en deux peuples distincts : les Threshers, dont fait partie Verity Auger, qui sont partisans d'un usage aussi modéré que possible de la technologie afin d'éviter une nouvelle catastrophe comparable au « nanocauste », et les Slashers, qui, le mal étant fait, ne voient nulle raison de ne pas poursuivre sur la voie du progrès. Eux-mêmes sont divisés entre des modérés alliés aux Threshers et des jusqu'au-boutistes qui n'ont aucune envie de s'encombrer de ceux qu'ils considèrent comme une bande d'arriérés.

Les Slashers ont découvert l'hyperweb, un réseau de transport interstellaire dont ils ne sont pas les créateurs mais qui ne leur en a pas moins ouvert les portes de la galaxie. Ce réseau conduit entre autres à des OVA (objets volumineux anormaux) qui contiennent des planètes à l'intérieur d'une coquille. Sur Phobos, un portail de l'hyperweb mène sur une Terre uchronique où la Seconde guerre mondiale n'a pas eu lieu, une Terre enclavée à l'intérieur d'un OVA. À la suite d'un accident survenu lors de fouilles sur la Terre d'origine, des pressions sont exercées sur Verity Auger pour qu'elle accepte de se rendre sur la Terre alternative afin de récupérer de précieux documents que sa consœur, Susan White, se proposait d'exfiltrer. Dans le même temps, en 1959, dans un Paris en proie à la montée du fascisme, Wendell Floyd, un détective privé américain installé en France et jazzman à ses heures, tout comme son associé, Custine, ex-flic qui n'est plus en odeur de sainteté auprès de la Grande Maison, se voit proposé d'enquêter sur la mort suspecte de Susan White par Monsieur Blanchard, propriétaire de l'immeuble où logeait la victime et dépositaire des documents qu'Auger est censée récupérer. Enquête qui s'annonce pour le moins complexe, difficile et peut-être même vaine. Tout n'est cependant pas clair dans cette affaire. Il apparaît bientôt que Susan White était très probablement une espionne, mais à la solde de qui ? Du futur ? Ce n'est pas vraiment la toute première chose qui vienne à l'esprit. Il y a aussi de très étranges enfants extrêmement dangereux qui rodent à proximité de l'appartement de Susan White, où l'on trouve un poste de radio trafiqué et d'où une machine de cryptage Enigma a suivi l'occupante des lieux lors de sa défenestration. Cependant, les enfants, même lorsqu'ils puent la mort comme des cadavres frais de trois mois, arrivent rarement en tête de la liste des suspects d'homicide, surtout en 59… Et puis, Verity Auger ne semble guère crédible en Américaine sœur de White et originaire d'une petite ville du Dakota dont personne n'a jamais entendu parler, surtout aux yeux d'un compatriote, fût-il Texan. Il y a aussi ces allers-retours dans le métro, à la station Cardinal Lemoine, avec des valises pleines qui reviennent vides en quelques minutes… Et Blanchard, qui passe à son tour par la fenêtre. Custine étant suspecté par la frange fascisante de la police, Floyd se trouve tenu d'aller au bout de l'enquête pour innocenter son ami, même si le commanditaire est désormais décédé.

À peu près au milieu du roman, ces deux lignes narratives finiront par se rejoindre — et pas uniquement pour que Floyd et Verity puissent tomber amoureux l'un de l'autre. L'histoire va dès lors évoluer vers le space opera, avec batailles d'astronefs, armes de destruction absolue et tout le saint frusquin… Tant est si bien que Floyd se retrouvera à jouer du pistolet sur la tour Eiffel en ruine de l'an 2300 contre des extrémistes Slashers ne rêvant que d'éradiquer toute vie sur sa Terre à lui, la copie…

Que ce soit sur la Terre de Floyd ou dans l'univers de Verity, le récit est mené à un rythme trépidant qui, une fois n'est pas coutume, ne faiblit jamais tout du long de ses 588 pages, emportant le lecteur au fil d'un ouragan de péripéties. C'est avant tout un roman d'aventure et d'action ayant fonction de divertir. Alastair Reynolds laisse cependant bon nombre de points dans l'ombre à la fin du livre qui appelle une suite. Qui a créé l'hyperweb et les OVA, et pourquoi ? Pourquoi y avoir reproduit une image de la Terre dans les années 30 où l'écoulement du temps n'a repris que lorsque a été ouverte la liaison hyperweb de Phobos vingt-trois ans plus tôt ? Quel rapport existe-t-il entre Caliskan, le Thresher, et Châtelier, le leader fasciste de la France du monde alternatif ? Il y a de quoi faire…

Si La Pluie du siècle est mené tambour battant, l'intrigue reste cohérente, les personnages sont sympathiques et on a envie de les retrouver. C'est à coup sûr un bon moment de science-fiction en perspective, ce qui n'est pas si courant.

Jean-Pierre LION

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