BAOSHU
ACTES SUD
304pp - 22,50 €
Critique parue en août 2020 dans Bifrost n° 99
Quel statut pour la fan fiction ? Prospérant sur les mailles du réseau, elle peine à trouver sa légitimité une fois imprimée… Il y a quelques années, E. L. James s’est inspirée, avec Cinquante nuances de Grey, de la série « Twilight » de Stephenie Meyer et y a insufflé un peu de sexe, avec le succès public (à défaut de critique) que l’on connaît. De manière plus intéressante, Chloé Delaume a proposé une approche originale avec La Nuit je suis Buffy Summers, un livre dont vous êtes le héros basé sur la fameuse série de Joss Whedon.
Comme beaucoup d’œuvre à succès, la trilogie du « Problème à trois corps » de Liu Cixin n’est pas étrangère à ce phénomène, et c’est ainsi qu’un fan chinois a publié en 2010, quelques semaines après la sortie du dernier volume, La Mort immortelle, un texte qui allait former la base du présent roman.
Le lecteur n’a pas lu la trilogie de Liu Cixin ? Pas de souci, La Rédemption du temps se charge de lui offrir un digest dans sa première partie, au travers du point de vue de Yun Tianming. Personnage secondaire de La Mort immortelle, Yun Tianming vit reclus sur la planète Saphir avec sa compagne AA. Le couple mène un quotidien paisible après les troubles racontés dans les trois volets de la trilogie originelle, quand l’humanité s’est opposée à une invasion extraterrestre a priori inarrêtable. L’un des moyens utilisés pour lutter contre l’ennemi trisolarien a été d’envoyer à ces derniers le cerveau congelé de Yun Tianming – alors un jeune homme atteint d’un cancer incurable –, dans une tentative désespérée de leur tendre un piège. Depuis, Yun Tianming va mieux et a récupéré un corps, merci pour lui. Alors que sa nouvelle vie touche à sa fin, notre protagoniste est contacté par une entité d’ordre quasi divin se faisant appeler l’Esprit, qui le charge de traquer l’Occulte. Cet ennemi insaisissable menace l’existence même de l’univers. Yun Tianming, ayant accédé à un stade d’existence supérieur, arpente ledit univers et, au fil de milliards d’années de quête, il apparaîtra que les choses ne sont (forcément) pas ce qu’elles paraissent.
Drôle de projet que cette prolongation d’une trilogie se suffisant à elle-même. Si les romans de Liu Cixin n’étaient pas dénués de défauts, au moins étaient-ils soutenus par des idées souvent vertigineuses. Ici, Baoshu peine à susciter le même vertige, surtout lorsque l’Esprit s’emmêle dans un charabia quasi-mystique pas du meilleur effet. Narrativement, les choix surprennent : le premier tiers du roman consiste en un résumé de la trilogie, le dernier s’avère flou et elliptique, l’ensemble étant desservi par des dialogues maladroits. Enfin, le clin d’œil conclusif bouclant la boucle était-il nécessaire ? Cette Rédemption du temps ne redorera pas le blason de la fan fiction, mais peut-être ce roman réjouira-t-il tout de même les inconditionnels du « Problème à trois corps ». Pour notre part, on en doute.